À la MC93, en partenariat avec Chaillot – Théâtre national de la danse, Anne Teresa De Keersmaeker, accompagnée du pianiste Alain Franco, poursuit son travail autour de la musique de Bach et signe un solo en toute liberté.
© Anne van Aerschot
Sur le grand plateau noir de la salle Oleg Efremov, des cercles concentriques dessinent au sol une rosace parfaite. Ils rappellent les obsessions premières de la chorégraphe, son goût pour l’architecture, pour la perfection, pour le chiffre d’or et la suite de Fibonacci. Ils alimentent la légende Keersmaeker, servent de repères plus subliminaux que réels. Ils sont un des rares éléments de décor – avec une couverture de survie dorée posée en vrac côté cour et un panneau argenté flottant dans les airs côté jardin – d’une scénographie réduite à l’essentiel. Revenant inlassablement à l’essence du mouvement, à sa pure expression, Anne Teresa de Keersmaeker trace sa route vers un minimalisme gestuel, certes moins implacable qu’à ses débuts, mais toujours aussi radical. Elle va droit à l’essentiel, se débarrassant de tout ce qui pourrait être superflu.
30 variations pour conter une vie
Seule, nue sous une robe noire organza transparente, la chorégraphe et danseuse de 62 ans se laisse porter, transpercer par les 30 variations Goldberg de Jean-Sébastien Bach, jouées en direct par son complice Alain Franco. Elle se livre sans fioriture, sans pudeur dans une partition unique, rare et intense de prêt de deux heures. Revisitant son vocabulaire, déployant sa grammaire en toute liberté, Anne Teresa de Keersmaeker se réinvite à chaque mouvement dans un dialogue permanent avec la musique. À chaque note, son corps se met en mouvement. Tranchants souvent, charnels parfois, malicieux quelquefois, les gestes de la Flamande semblent tout droit inspirés de sa propre vie et esquissent en filigrane le récit d’une autobiographie dansée. Derrière le masque de l’artiste, la chorégraphe dévoile une femme éprise de liberté se dépouillant imperceptiblement de toute ce qui la contraint, de toutes les injections sociétales.
Mise à nu
Diagonales parfaites, marches rapides, verticalité du geste, horizontalité du mouvement, Anne Teresa de Keersmaeker n’a pas son pareil pour habiter l’espace, pour faire vibrer l’air qui l’enveloppe. Bien que tout semble improviser, l’écriture de la chorégraphe flamande est d’une précision sans pareil. De la pirouette avortée, de la facétieuse grimace, de ce poignet virevoltant, tout est au cordeau. Hypnotique, virtuose, elle entraîne le public aux portes de son intimité, esquisse une mise à nu – une épaule dénudée, un dos offert à tous les regards, avant de l’emporter dans une dernière danse, douce, profondément humaine et d’une rare intensité, au cœur de ce qui la motive, qui l’habite depuis plusieurs décennies, l’art de danser…
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
The Goldberg Variations, BWV988 d’ Anne Teresa De Keersmaeker & Alain Franco — Rosas
Chaillot – Théâtre national de la danse hors les murs
MC93
9 Boulevard Lénine
93000 Bobigny
jusqu’au 9 avril 2023
Durée 1h45 avec entracte
Chorégraphie et danse – Anne Teresa De Keersmaeker
Musique Johann Sebastian Bach, The Goldberg Variations, BWV 988
Collaboration musicale et piano Alain Franco
Assistanat chorégraphique – Diane Madden
Scénographie et lumière de Minna Tiikkainen
Assistanat à la direction artistique – Martine Lange
Coordination artistique et planning – Anne Van Aerschot
Direction technique Freek Boey assisté de Jonathan Maes
Technique de Jan Balfoort, Quentin Maes, Thibault Rottiers, Laurie Sanchez
Costume d’Emma Zune assistée par Els Van Buggenhout
Couture d’Emmanuelle Erhart
Habillage – Chiara Mazzarolo