Loin de toute polémique et de tout féminisme pur et dur, au Manège de Maubeuge, la metteuse en scène Nora Granovsky installe le temps d’un week-end, son festival itinérant dédié aux écritures féminines, Uber Gang. Pour cette cinquième édition, elle met à l’honneur, entre autres les plumes de Marie Fortuit, de Cécile Morelle ou de Laure Catherin.
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Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire le métier de metteuse en scène ?
Nora Granovsky : Cela a toujours été là, au plus profond de moi. Et puis au lycée, j’avais une prof de français, qui était passionnée de théâtre et qui a éveillé en moi ce goût de la scène et des textes. Grâce à elle, nous avons eu la chance de rencontrer Michel Raskine. Discuter avec lui m’a fait prendre conscience de l’existence du métier de metteur en scène et que c’était absolument cela que je voulais faire de ma vie. À partir de ce moment, je suis allée très régulièrement au théâtre. J’avais la chance, à cette époque, d’habiter à Paris et d’avoir un accès privilégié à l’art dramatique. Les années ont passé, en parallèle de mes études en Sciences humaines, j’ai continué à être très assidue aux salles de spectacles. Ce qui m’a permis de faire la connaissance de Georges Banu. Il a été essentiel dans mes choix, il m’a permis d’avoir un regard éclairé sur le spectacle vivant, de franchir le pas, de m’inscrire à l’École du passage, d’être formé par Niels Arestrup, de découvrir le travail de Peter Brook, le théâtre des grands-maîtres allemands comme Peter Zadek mais aussi celui de l’italien Giorgio Strehler et du suisse Matthias Langhoff.
Vous avez eu dès le départ une approche liée aux grandes figures du théâtre du XXE siècle…
Nora Granovsky : Oui, vraiment. C’est drôle parce qu’en y repensant, je devais être véritablement mordue. Dès l’âge de 13 ans, avec une de mes cousines, nous avions pris un abonnement à la Comédie-Française. Tous les mercredis, nous y allions ensemble. Nous nous perdions dans les couloirs. C’étaient des moments à part, suspendus. J’adorais l’odeur du théâtre, un peu poussiéreuse et cette sensation d’être à l’abri du monde.
Quelles études, avez-vous faites ?
Nora Granovsky : Je ne me suis pas tout de suite imaginée faire du théâtre. Je pensais que ce n’était pas pour moi, que jamais je ne pourrais pénétrer ce que je considérais comme un lieu sacré, un temple. Du coup, j’ai commencé par faire des sciences humaines, j’ai étudié la sociologie, la linguistique et la psychologie à la faculté de Paris-Descartes. En parallèle de ma licence, je me suis inscrite, comme je l’évoquais plus tôt à l’École du passage. À ce moment-là, j’ai découvert les études théâtrales. J’ai quitté Paris 5 pour Censier, les sciences humaines pour le théâtre. C’est par ce biais que j’ai connu Georges Banu. Assez vite, j’ai commencé à travailler, notamment en tant qu’assistante à la mise en scène au théâtre du Campagnol, au côté de Jean-Claude Penchenat, son fondateur. Dans le même temps, j’ai aidé une amie à porter au plateau, un texte jeune public qu’elle avait écrit. J’avais à peine 20 ans. Je me souviens, Jean Sayous et Gérard Violette nous avaient pris sous leurs ailes et nous permettaient de répéter au Théâtre de la Ville, dans la loge Sarah Bernhardt. C’était assez magique.
Quel a été votre premier spectacle ?
Nora Granovsky : Avant de me lancer, j’ai fait pas mal d’essais, des exercices de style, pas mal de petites formes. J’hésite entre deux. C’est soit Le précepteur de Jakob Lenz, adapté par Bertolt Brecht à la Comédie de Béthune, soit Solo para Paquita d’Ernesto Caballero. La pièce raconte l’histoire d’une femme qui tue ses amants en jouant au bingo. C’était en 2003. On l’a même joué à Avignon, mon premier festival. Armelle Héliot du Figaro nous avait repérés, ce qui nous a permis une belle reconnaissance.
Qu’est ce qui guide vos choix des textes que vous mettez en scène ?
Nora Granovsky : J’ai toujours eu une attirance particulière pour les auteurs germaniques. J’aime beaucoup l’écriture acérée, directe de Mayenburg, celle de Brecht, Schiller. Chez eux, il n’a ni afféteries, ni fioritures. Ça va droit au but, un peu comme un coup de poing. J’ai découvert aussi lors de mes lectures, celle du britannique Mike Bartlett. C’est très rythmé. J’aime avant tout la dimension épique, onirique et politique au théâtre. Cela fait partie de mes envies du moment. Avec Janis, j’ai eu l’occasion d’expérimenter l’écriture. Cela m’a aussi beaucoup plu. Je me laisse porter par une langue, mais aussi par une forme de musicalité dans les textes, de musique dans ma tête. Telle une cheffe d’orchestre, j’aborde les textes que je mets en scène comme des partitions. Je cherche toujours à trouver le bon tempo, la bonne rythmique, le mouvement juste.
Vous êtes en plein dans les préparatifs de votre Festival Uber Gang, qui se tient du 6 au 8 avril au Manège de Maubeuge. Quel en est la genèse ?
Nora Granovsky : L’idée de festival pluriel et itinérant est née en 2019, lors d’un happening avec le collectif HF. En partenariat avec une librairie, on avait décidé de mettre en vitrine tous les livres écrits par des femmes. La surprise a été grande. Un peu naïvement, je ne pensais pas qu’il y en aurait si peu. Cela m’a fait prendre conscience du problème de représentativité de la femme dans le monde, et en particulier dans celui de la culture. Cela a été pour moi un vrai électrochoc, qui m’a donnée envie de changer les choses à mon endroit et donc de créer un festival où ne serait programmées que des artistes femmes. À la base, je ne voulais même pas l’annoncer comme tel, car après tout, des années durant, les hommes ont été programmés sans que l’on spécifie écriture masculine. Pourquoi alors accoler la mention féminine quand on parle de textes écrits par des femmes. Ma radicalité à moi, c’est donc de ne programmer que des femmes. Mais attention, je ne revendique pas une manifestation féministe. Ce n’est pas l’endroit de mon combat premier. Même si évidemment, derrière ce geste, il y a un acte féministe. Personnellement, ce n’est pas parce que l’on présente des autrices que les textes doivent évoquer uniquement les problématiques des femmes. C’est en tout cas un écueil dans lequel je ne voulais pas tomber. C’est avant tout des artistes que nous mettons en avant, avec leur diversité, leur regard sur le monde.
Sous quelle forme se présente le festival ?
Nora Granovsky : La manifestation dure trois jours, durant lesquels nous essayons de varier les plaisirs. Il y a des rencontres, des temps d’échanges, des lectures et des spectacles. Chaque jour, nous abordons des thématiques différentes. Nous avons notamment, avec Sylvia Dubost, qui coordonne les conversations que nous mettons en place entre le public et les artistes, imaginé ce temps de partage dans l’esprit du Pop Club de José Arthur. Après, il y a aussi une exposition liée au festival. Lors de son vernissage, nous proposons une performance dansée. Pour cette cinquième édition, nous avons décidé de mettre en lumière, les élèves autrices de l’École du Nord, qui ont une carte blanche autour de la thématique Écrire à partir de l’autre. Nous avons invité des dramaturges comme Cécile Morelle, Amandine Pudlo ou la suisse Julia Haenni. Et nous consacrons le samedi aux cultures urbaines. Chaque année, quand nous choisissons, avec l’équipe du collectif qui m’accompagne dans cette aventure, les autrices que nous allons présenter, nous faisons en sorte soit de travailler avec des artistes que l’on connaît et dont nous apprécions le travail, ou d’aller vers des coups de cœur littéraires, des textes qui sortent de l’ordinaire, qui nous touchent ou nous secouent.
Par ailleurs, le festival a vocation à être itinérant…
Nora Granovsky : Oui, en fait, nous venons de passer deux jours à Carvin dans le cadre de ce que l’on appelle Uber Gang Expérience. C’est une version condensée du festival, que nous espérons pouvoir développer un peu partout, en tout cas pour l’instant sur le territoire des Hauts de France, tout au long de l’année. L’objectif aller à la rencontre de nouveaux publics et leur faire découvrir des textes de femmes.
D’où vient ce nom Uber Gang ?
Nora Granovsky : Il y a une double idée. Tout d’abord, c’est un pied de nez à Uber, à la culture de l’hyper-consumérisme. Puis, ce qui m’intéressait aussi c’est la notion de gang, qui vient plutôt des cultures urbaines assez masculines, une manière d’en détourner les codes. Et enfin en allemand, cela signifie le passage, la transition.
Avez-vous d’autres projets à venir ?
Nora Granovsky : En parallèle du festival, j’accompagne la tournée de ma pièce Janis, qui a été créée au Manège et repris l’été dernier à Avignon, au 11. Et je prépare une adaptation du Lac d’Argent de Georg Kaiser et Kurt Weill. C’est un spectacle musical, une farce épique, qui raconte l’histoire de villageois assaillis par la faim. Pour survivre, ils n’ont d’autres choix que de piller l’épicerie voisine. Le héros Severin, se fait tirer dessus pour avoir volé un ananas. Pris de remord, le gendarme qui l’a blessé, va l’aider à s’en sortir. C’est très symboliste, un brin fantastique. C’est la dernière pièce jouée en Allemagne de ces deux artistes, elle fait référence évidement à la montée du nazisme. À l’époque, elle a été interdite par le régime. Ensuite, en raison de leur appartenance à la communauté juive, ils ont été contraints à l’exil. Je n’ai pas encore de date de création, car je travaille en ce moment sur la production, en partenariat avec le Manège où je suis artiste associée.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Festival Uber Gang #5
du 6 au 8 avril 2023
Le Manège – Scène nationale de Maubeuge
Rue de la Croix BP 105
59602 Maubeuge