Après un beau succès parisien, au théâtre de l’Atelier et avant les Francopholies de La Rochelle cet été, Emmanuel Noblet, accompagné des chanteuses Clarika et Maissiat, présente Dabadie ou les choses au Palais des Arts de Vannes, dans le cadre du Festival Les Émancipéés, qui se tient jusqu’au 2 avril aux Scènes du Golfe. Avec humour et poésie, le comédien redonne vie aux dialogues et aux chansons de Jean-Loup Dabadie.
Comment est né ce projet fou ?
Emmanuel Noblet : C’est Clarika qui a eu l’idée. Elle aimait beaucoup les chansons que Jean-Loup Dabadie a écrites. Elle avait envie de lui rendre hommage et elle cherchait d’une part, une autre chanteuse, ayant une voix différente de la sienne, et d’autre part quelqu’un pour la mettre en scène et l’aider à s’emparer de ces textes, de ces mots pour en faire spectacle. Pour le chant, elle s’est adressée à Maissiat, qu’elle connaissait bien, pour l’accompagner au plateau. C’est par cette dernière, qui est une amie, que j’ai atterri sur le projet. Cela m’a tout de suite intéressé, car Il y a une vingtaine d’années, j’écoutais beaucoup l’œuvre de Dabadie. Il faut dire qu’il a écrit pour les plus grands, Polnareff, Julien Clerc,Serge Reggiani ou Johnny Hallyday. Tous les trois, nous aimions aussi beaucoup, les scénarios qu’il a imaginés pour le cinéma. Très vite, l’idée est donc née d’entremêler au plateau chants et dialogues de films. Je n’avais pas du tout mesuré l’ampleur de la tâche. Dabadie a été extrêmement prolixe. Le nombre de chansons qu’on lui doit est impressionnant.
Comment avez-vous procédé ?
Emmanuel Noblet : Je suis partid’un de ses films qui m’accompagne depuis longtemps, Les Choses de la vie avec Michel Piccoli et Romy Schneider. Ce long-métrage, dont j’aime les dialogues ciselés, à la fois simples, sensibles et profonds, m’accompagne depuis longtemps. Anecdote, c’est ainsi que j’ai décidé de baptiser ma compagnie. C’est dire que cette œuvre est importante pour moi. Je connaissais aussi les scénarii qu’il a écrits pour Yves Robert, comme un Éléphant ça trompe énormément ou Nous irons tous au paradis. Dabadie était capable de nous faire rire, de nous faire pleurer, de toucher juste, de traverser avec élégance toutes les émotions de la vie. Avec Clarika, nous sommes assez vite tombés d’accord, qu’il fallait que sur scène, on rende compte de cela, que l’on ressente cela. Quelle gageure ! Je n’avais pas imaginé que ce serait aussi titanesque, mais quel bonheur de s’immerger dans son œuvre, de construire un spectacle où l’on passe du jeu au chant, d’écrire une partition faite uniquement à partir de ses mots à lui. L’autre défi était de faire jouer Clarika et Maissiat et de me faire chanter. Certes, je prends des cours de chant lyrique depuis douze ans, mais je n’avais jamais osé le faire devant une salle, un public. Je n’étais pas sûr de l’assumer. Il y a pour moi dans cet acte, une forme de mise à nu, d’impudeur. C’est quelque chose de fragile, nettement plus que le fait qu’être acteur me semble-t-il ? jusqu’à ce spectacle, l’encouragement de filles, je ne m’étais pas autorisé à franchir le pas. J’avoue, la sensation est grisante.
Comment avez-vous construit le spectacle ?
Emmanuel Noblet : Afin de respecter au mieux l’œuvre de Jean-Loup Dabadie, il était crucial pour nous d’évoquer toutes les facettes de son travail et que l’on trouve une trame pour qu’au-delà de l’hommage, un récit se tisse au fil de ses mots. Il a fallu s’imprégner de ses textes, tout relire et s’approprier son écriture pour agencer, monter, tracer un canevas composé de treize chansons et de scènes extraites de quinze de ses films. Je me suis amusé en prenant des phrases un peu partout dans son répertoire. Certaines proviennent des dialogues de Clara et les chics types, d’autres de César et Rosalie ou encore de Vincent, François, Paul… et les autres. C’est une expérience vertigineuse, car assez casse-gueule. Mais au vu des premiers retours, a priori, ça fonctionne. Les spectateurs se plaisent même à essayer de retrouver les titres des longs métrages, notamment dans la scène du bistrot que j’ai construite à partir de huit films différents. Plus concrètement, pour éviter la compilation de scènes, j’ai dû trouver un chemin, tirer des fils dramatiques, ça et là. J’avais l’intuition, qu’il fallait partir de sa toute première chanson, Le Petit garçon, écrit pour Reggiani et finir par la dernière qu’il a écrite pour lui, en 2002, Le temps qui reste. Cela faisait sens. Dabadie évoque, comme dans Les Choses de la vie, la vie qui défile, le temps qui nous reste à vivre, les moments heureux, d’autres plus mélancoliques, passer du rire aux larmes…
Pour ce qui est des chansons ….
Emmanuel Noblet : C’est Clarika et Maissiat qui ont fait leur choix. Et puis pour que le spectacle soit vraiment musical, il était important que la musique soit jouée en direct et que Mathieu Geghre, pianiste, guitariste et arrangeur de génie, soit parti intégrante de la pièce. Je lui ai donc donné quelques punchlines à dire. Cela permet une meilleure circulation sur scène. C’est plus vivant.
Que représente pour vous les Émancipéés ?
Emmanuel Noblet : j’étais déjà venu, il y a quelques années pour mettre en scène Fabcaro, sur son texte Le Discours. C’est un festival à part, qui donne toute sa place aux mots, à l’écriture, à la poésie aussi. À chaque fois, c’est la certitude de découvrir des projets singuliers, d’assister à des moments uniques où se conjuguent théâtre, musique et littérature. Cette année, je suis heureux de venir présenter Dabadie ou les choses de nos vies mais aussi lire, et du coup, faire entendre le dernier roman d’un jeune auteur que j’aime beaucoup, Victor Jestin. J’ai découvert sa plume, il y a deux ans, à la maison de la poésie, où l’on m’avait proposé une lecture de son premier texte, La Chaleur. J’ai tout de suite aimé son univers, sa langue. Il y raconte les premiers émois de l’adolescence, les désirs inassouvis, l’été dans un camping en bord de mer. C’est un monde transpirant, où un drame, un meurtre exacerbe les tensions, les mal-être. Dans son nouveau livre, L’homme qui danse, il se penche sur le destin d’un homme qui n’ose pas danser et qui pour vaincre cette difficulté va un jour mettre un pied sur le dancefloor, pour ne plus jamais le quitter. C’est passionnant. Je suis très content qu’Arnaud Cathrine met proposé de participer à la lecture de ce deuxième roman et ainsi de mettre un peu dans la lumière ce jeune écrivain, d’autant qu’au plateau nous seront accompagnés musicalement par Rubin Steiner. Cela devrait être une belle soirée.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Dabadie ou les choses de nos vies d’après les œuvres de Jean-Loup Dabadie
Festival les Émancipéés
Palais des Arts
Scènes du Golfe
Place de Bretagne
56000 Vannes
le 28 mars 2023
durée 1h15
Une création originale de Clarika, Maissiat et Emmanuel Noblet
mise en scène d’Emmanuel Noblet
adaptations textes et chansons – Clarika, Maissiat et Emmanuel Noblet :
piano, claviers et arrangements – Mathieu Geghre
L’homme qui danse de Victor Jestin
avec Emmanuel Noblet et Victor Jestin
Musique et DJ – Rubin Steiner