Au Paradis du Lucernaire, dans une mise en scène au cordeau de Panchika Velez, Josiane Pinson redonne vie au magnifique roman de Benoîte Groult, Les vaisseaux du cœur. Embarquez pour ce beau voyage, c’est Marée haute !

© Karine Letellier

Avec ces flots, montants ou descendants, une grande et folle histoire d’amour ressemble souvent aux mouvements des marées. C’est un flux et reflux de courant qui vous assaillent. Benoîte Groult en sait quelque chose, puisqu’elle l’a vécu.

George, sans s comme Sand, est une intellectuelle parisienne. Parce qu’il fallait laisser une trace, elle a décidé de raconter sa longue et improbable liaison avec Gauvin. Ce marin breton qui a fait chavirer son cœur et son corps au sortir de l’adolescence. Au rythme des courants de la vie qui passent, du ressac des épreuves qui vont avec, cette femme sans fard trace le récit de sa longue traversée sur les eaux tourmentées d’un amour déchaîné. « Les passions sont des amours impossibles et splendides qu’il ne faut pas vivre au quotidien. Cela les fait mourir ! ».

Un texte audacieux qui se fait encore entendre

Rédigé à la première personne et inspiré de sa propre expérience, son roman a marqué les esprits dès sa parution en 1988. Il y est question d’amour, le charnel, le passionnel, l’extraconjugal… Benoîte Groult a su mettre, sans pudeur et beaucoup de tendresse, les mots sur des choses intimes, des sentiments déraisonnables, des plaisirs prodigieux… En même temps, ce livre dresse aussi le magnifique portrait d’une femme de son époque, libre et intelligente. Ce qu’était cette écrivaine, journaliste et militante féministe. Josiane Pinson s’est emparée du roman pour nous en livrer une adaptation scénique des plus délicieuses. Car la « dame » possède l’intelligence, la liberté d’esprit et de ton, l’humour qui sied au style de la romancière. Son découpage est parfait, gardant toute la rythmique de la prose du livre.

Avec ses cheveux courts et gris, Josiane Pinson possède une silhouette bien particulière. Elle a aussi un timbre de voix très spécifique et reconnaissable. Durant des années, à travers son triptyque Psycause, elle a fait vivre une psy, dépasser par la vie et ses patients. Une femme peu éloignée de celle des Vaisseaux du cœur. Il fallait donc casser cette image. La metteuse en scène Panchika Velez a eu l’excellente idée de modifier son apparence. C’est fou, combien une perruque peut métamorphoser une personne. Ainsi, la comédienne a pu se glisser en toute liberté dans les mots Groult. Très habile dans les ruptures de ton, elle fait entendre à merveille les nuances des sensations et des émotions, même les plus fortes, qui traversent son personnage.

Un marin de rêve

L’autre trouvaille a été que l’on ne voit pas Gauvin. Il sera juste une voix. Et quelle voix ! C’est finaud ! Ainsi, chacun des spectateurs peut se faire sa propre image. On peut même dire y projeter son propre fantasme. Pour ma part, connaissant fort bien le comédien qui l’incarne, et que ce personnage lui va comme un gant, Gauvain porte les traits de Didier Brice. Il est parfait en marin bourru, maladroit et craintif devant cette tornade passion. En tout cas, le procédé marche très bien. Et il ne faut pas oublier, que lorsque George écrit son roman, il est décédé. Cette voix est celle du passé qui vient se rappeler à son souvenir.

La metteuse en scène Panchika Velez connaît bien l’œuvre de Benoîte Groult. On se souvient encore de sa très belle mise en scène, en 2009 au Poche Montparnasse, du Journal à quatre mains des sœurs Groult, avec Aude Briant et Lisa Schuster. Depuis Le Mec de la tombe d’à côté et Respire, on sait qu’elle est douée pour théâtraliser une œuvre romanesque. Entre les jeux de lumières de Florence Barnaud et la scénographie stylisée de Jean-Michel Adam, elle a mis en place un bel écrin, dans lequel le récit narratif circule et nous emporte, tel une vague de bonheur.

Marie-Céline Nivière

Marée haute d’après Les vaisseaux du cœur de Benoît Groult
Festival Off Avignon – Théâtre de l’étincelle
14 place des Etudes 84000 Avignon.
Du 7 au 29 juillet 2023 à 13h20, relâche les lundis.
Durée 1h10.

Lucernaire
53, rue Notre-Dame-des-Champs
75006 Paris.
Jusqu’au 7 mai 2023.
Du mardi au samedi à 21h, dimanche 17h30.

Adaptation et jeu Josiane Pinson.
Mise en scène Panchika Velez
assistée de Mia Koumpan.
Scénographie de Jean-Michel Adam.
Création sonore de Stéphane Corbin.
Création lumière de Florent Barnaud.
Voix de Didier Brice.