Que deviennent les héros après la fin d’un roman ? L’aventure n’est jamais simple de se glisser dans les mots et dans l’imaginaire d’un auteur pour inventer une suite à une de ses œuvres. On garde en mémoire, l’excellent ouvrage de Jacques Rampal, qui avec Célimène et le Cardinal, fit suite au Misanthrope de Molière. Marjorie Frantz s’attaque à du lourd, Les Liaisons dangereuses, le chef-d’œuvre de Choderlos de Laclos. Ce roman publié en 1782, s’inscrit dans la tradition du libertinage. À la fin de l’histoire, Valmont est mort. Merteuil s’est enfuie. La petite Cécile est partie au couvent, où réside déjà Madame de Tourvel. Danceny est rentré à Malte.
Ainsi, ce clos les liaisons dangereuses
L’autrice imagine que la jeune Cécile a finalement épousé le comte de Gercourt. Elle a eu un fils. Quinze ans et une Révolution française sont passés par là. Le vieux comte est mort.La jeune femme a retrouvé sa liberté auprès de celui qu’elle n’a jamais cessé d’aimer, le beau chevalier Danceny. N’ayant jamais perdu de vue où sa chère et « aimante cousine » se trouvait, elle profite d’un déplacement entre la Hollande et Paris, pour la convoquer dans un relais de Poste. L’heure du règlement de compte à sonner.
S’éloignant volontairement de l’aspect épistolaire du roman, Marjorie Frantz a privilégié le dialogue. Ce qui permet de rendre vivant et puissant l’échange entre ces deux femmes. Comme un clin d’œil à l’histoire des lettres rendues à Madame de Rosemonde, l’autrice prend pour prétexte que la marquise déchue a écrit ses mémoires et que Cécile, ne souhaitant pas les voir publiées, exige de se voir remette le manuscrit. Merteuil, lui doit bien ça.
« N’oubliez jamais que lorsqu’une femme en combat une autre, l’issu est souvent fatale »
Il n’est pas nécessairement obligé d’avoir lu le roman pour se délecter de ce texte dont la principale qualité est le sujet : la condition féminine. Car, il ne va être question que de cela, la place de la femme dans un monde dominé par les hommes. Ce sont deux victimes. Si Merteuil est devenue ce qu’elle est ce n’est pas pour rien. Dès sa jeunesse, elle a refusé « d’être vouée par état au silence et à l’inaction ». Elle a appris à cacher derrière une réputation vertueuse, ses machiavéliques turpitudes en amour comme en affaires, pour devenir maîtresse d’elle-même. Les victimes devenant parfois des bourreaux, cette femme sans scrupule a fini par leur ressembler.
Cécile est le symbole de l’oie blanche sacrifiée, celle qui fut violée et bafouée. Elle s’est reconstruite tout en gardant en son sein la douleur de ses blessures anciennes. La petite naïve, aujourd’hui aguerrie, sait mener le combat. Tout semble les séparer, mais ce n’est qu’un point de vue de l’esprit.
Un face à face réjouissant
Dans le rôle de Merteuil, Marjorie Frantz est d’une crédibilité saisissante. Elle a la puissance qui sied à cette femme qui porte sur elle le souvenir de sa beauté et de sa gloire passée. La comédienne possède un port de tête et une voix magnifique (qu’elle a certainement héritée de son père Jacques Frantz). Elle apporte de belles nuances à ce personnage fragilisé par le temps et la solitude. Dans sa belle robe directoire, aux couleurs pastel, avec sa blondeur lumineuse et son visage délicat, l’excellente Chloé Berthier donne au personnage de Cécile, la douceur d’un ange et la férocité d’une lionne. Leur duo, basé sur une grande complicité, fonctionne à merveille.
Une mise en scène rondement menée
Salomé Villiers, récompensée à juste titre l’année dernière d’un Molière de la Révélation Féminine, poursuit le beau chemin qu’elle se trace dans le monde du théâtre (Le Montespan, La grande musique, Badine, Beaucoup de bruits pour rien, Les jeux de l’amour et du hasard…). S’appuyant sur le décor de Marjorie Frantz, les belles lumières de Denis Koransky et les superbes costumes de Peggy Sturm et Jérôme Pauwels, sa mise en scène, somme toute classique, est au service du texte. On retiendra la belle idée de fin où, dans le sens propre du terme, les voilent tombent enfin pour faire éclater la vérité.
Marie-Céline Nivière
Merteuil de Marjorie Frantz.
Festival OFF Avignon
Buffon Théâtre
18 rue Buffon
84000 Avignon
Du 29 juin au 21 juillet 2024 à 19h35.
Durée 1h10.
Lucernaire
53 rue Notre-Dame-des-Champs
75006 Paris.
Reprise du 31 janvier au 31 mars 2024
Du 8 mars au 7 mai 2023.
Mise en scène de Salomé Villiers.
Assistée par Alexandre de Schotten.
Avec Chloé BerthieretMarjorie Frantz.
Avec la voix d’Arnaud Denis.
Musique d’Adrien Biry Vicente.
Lumière de Denis Koransky.
Costumes de Peggy Sturm et Jérôme Pauwels.
Décor de Marjorie Frantz.