À La Filature de Mulhouse, les Vagamondes, festival qui explore les notions de frontières qu’elles soient géographiques, idéologiques ou sociétales, invite cette année à une réflexion sur le genre. En ouverture de ce bal « queer », une exposition concoctée par le duo Superpartners (SMITH & Nadège Piton), la nouvelle création d’Elli Papakonstantinou et un concert de Jeanne Added.
© SMITH
Dans le hall de la scène nationale, c’est l’effervescence. L’équipe du théâtre s’active et finalise les derniers préparatifs, alors que les premiers festivaliers arrivent sur le parvis. Des foodtrucks, installés pour l’occasion, permettent d’attendre l’ouverture des portes dans la bonne humeur. Très métissé, très queer, très cis aussi, le public de la Filature a répondu présent à l’invitation de Benoît André, le directeur depuis janvier 2020 du lieu. Pour la mise en bouche d’une programmation très alléchante, où il sera possible de voir notamment, le très réussi et très féministe Firmament, mis en scène par Chloé Dabert, HEN, la marionnette trans et totalement barrée de Johanny Bert, la nouvelle création de Sorour Darabi, ou le Roméo et Juliette suite dégenré de Benjamin Millepied, en partenariat avec Chaillot – théâtre national de la Danse, l’artiste complice de l’institution mulhousienne, SMITH, et sa partenaire Nadège Piton, sous le patronyme de Superpartners, invitent à découvrir le travail photographique d’artistes LGBTQIA+, rarement mis sur le devant de la scène.
Un voyage plastique et transidentitaire
En 2020, en plein confinement, la revue The Eyes, dont la spécificité est d’explorer les faits culturels et sociétaux contemporains à travers le médium photographique, propose au binôme Superpartners une carte blanche. Questionnant à travers leur art et leur réflexion de performeur et performeuse, de chercheur et chercheuse, la notion de genre, de référence identitaire, de transition et de fluidité, le duo imagine un digest riche et précieux qui réunirait des portfolios d’artistes historiques comme Pierre Molinier et d’autres contemporains, comme Laurence Philomène, et des conversations inédites avec la militante Lalla Kowska-Régnier, le philosophe Paul B. Preciado ou l’historienne de l’art Élisabeth Lebovici, autour de ces sujets encore tabous et trop souvent relégués à l’Underground. C’est dans la suite logique de ce travail, que s’inscrit l’exposition présentée, jusqu’en mai, dans la galerie de la Filature.
Constatant l’absence flagrante d’artistes trans ou/et queer dans les institutions d’art plastique, la présence dans nos modèles de construction identitaire de barrières, de frontières, les Superpartners, à la manière d’un acte militant, invite avec Trans(e)galatactique, non à une exposition documentaire, mais bien à une promenade dans leurs œuvres et leurs manières de regarder le monde autrement. « Je crois, résume SMITH, que nous avons réalisé l’expo que nous aurions aimé voir, Nadège et moi, quand nous étions jeunes artistes. Les photographies que nous avons choisis de montrer – dont la plupart non jamais été exposées – , dévoilent des visages, des corps dissidents, trans, queer, binaires ou non-binaires. Nous espérons ainsi permettre aux visiteurs de sortir du regard habituel prétendument universel, d’entrer dans le regard de l’autre, prétendument communautaire. » Loin des sentiers battus, ils ont construit un parcours intelligent, qui refuse la facilité du « freak », pour donner de la visibilité à des artistes rares qui interrogent nos sociétés corsetées et normées, et créent des ponts, des liens entre les mondes et ainsi pourquoi pas à terme ainsi abolir toute notion de binarité et d’assignation.
Euripide par-dessus tête
Côté spectacle vivant, c’est avec la toute nouvelle création d’Elli Papakonstantinou que s’ouvre la 11e édition des Vagamondes. Artiste plurielle et pluridisciplinaire, la metteuse en scène et militante grecque s’attaque à l’œuvre antique d’Euripide et revisite ses Bacchantes au temps présent. Dans un décor fait de tissu blanc satiné, rappelant quelques Barnum de mariage un peu ring’, la Reine de Thébes (impétueuse Hara Kotsali), dont c’est l’anniversaire, attend, inquiète, son fils chéri Penthée (troublant jeune premier Vasilis Boutsikos). Une menace sourde semble s’emparer de la cité et de ses habitants. Avec l’arrivée annoncée du dieu Dyonisos (détonnant Ariah Lester), furieux de ne plus être objet de culte, la fin du monde semble proche. Jouisseur, hédoniste, tel l’ange noir de Théorème de Pasolini, il séduit les uns, excite les autres et emporte tout ce petit monde en perdition dans un spirale infernale et vertigineuse d’ambiguïtés et de désirs, dont la seule issue semble la mort.
Avec extravagance et excentricité, Elli Papkonstantinou offre une vision kitsch et sans concession du monde d’aujourd’hui. Hybridant les arts vivants et visuels, elle annonce les tempêtes à venir environnementales, bien sûr, mais aussi sociétales. Face au repli des sociétés contemporaines sur elles-mêmes, à la peur de l’autre, de la différence, l’artiste et ses complices SINE QUA NON ART, à la chorégraphie, proposent de changer la donne, de faire table rase du passé, pour construire un ailleurs débridé, forcément « queer ». En ce soir de première, The Bacchae reste encore très fragile, voire quelque peu confus. Resserrée, l’œuvre folle devrait gagner en force lors de ses prochaines dates française, en juin au Festival de Marseille, en octobre à l’Espace des arts de Chalon-sur-Saône dans le cadre du Focus Jeune Théâtre Européen. Une certitude, le talent indéniable des artistes au plateau, chanteuses, chanteurs, performeuses, performeurs, comédiennes et comédiens portent de leur présence lumineuse et charnelle cet objet théâtral non identifié.
Place à la musique
La journée s’achève. Depuis longtemps, le soleil s’est fait la malle. Dans la grande salle de la Filature, sagement assis, un public nombreux et varié est venu entendre le tour de chant de Jeanne Added. Vêtue de noir, cheveux blonds, coupés au carré et plaqués en arrière, elle habite la scène. Il ne lui faudra pas deux minutes pour mettre tout le monde debout, faire chalouper les bassins au rythme de ses ballades pop rock mâtinées de jazz. Montée sur ressort, elle enchaîne les tubes de son dernier By Your Side, auxquels elle entremêle savamment certains de ses hits comme Mutate. Lentement, la température monte, certains spectateurs quittent leur siège pour s’aventurer au-devant de la scène. La soirée, qui se poursuit avec le concert tout aussi « swag » de VATICAN SOUNDSYSTEM, est clairement une belle réussite. Une belle promesse pour la suite des Vagamondes… À suivre …
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Mulhouse
Les Vagamondes, 11e édition
La Filature, scène nationale
20 allée Nathan Katz – Mulhouse
Jusqu’au 31 mars 2023
L’exposition Trans(e)galactique – Commissariat Superpartners (SMITH & Nadège Piton)
en galerie de La Filature, en entrée libre
du 17 mars au 14 mai 2023
The Bacchae d’après Euripide
conception d’Elli Papakonstantinou
salle modulable de la Filature
Les 17 et 18 mars 2023
durée 1h45
Tournée
les 10 & 11 juin 2023 au Holland Festival (NL)
les 21 & 22 juin 2023 au Festival de Marseille( FR)
le 30 & 31 juillet 2023 à La Strada Festival (AT)
les 30 septembre et 1er octobre 2023 au Romaeuropa Festival (IT)
les 12 & 13 octobre 2023 à l’Espace des Arts, Scene Nationale Chalon-Sur-Saone (FR)
les 10 & 11 novembre 2023 au Teatro Nazionale di Genova (IT)
conception, direction artistique – Elli Papakonstantinou
texte d’Elli Papakonstantinou, Chloe Tzia Kolyri & Kakia Goudeli
chorégraphie de SINE QUA NON ART – Christophe Béranger, Jonathan Pranlas Decours
avec Vasilis Boutsikos, Georgios Iatrou, Hara Kotsali, Ariah Lester, Lito Messini, Aris Papadopoulos
chansons originales, composition musicale d’Ariah Lester
compositions électroacoustiques, installation sonore interactive, coordination technique – Lambros Pigounis
scénographie de Maria Panourgia assistée de Sofia Theodoraki
création vidéo, performance vidéo live de Pantelis Makkas assisté d’Anthi Paraskeva Veloudogianni
costumes d’Ioanna Tsami, lumière Marietta Pavlaki
capteurs de vibration sur scène, création sismographe de Giannis Kranidiotis, assistanat direction artistique Spiros Sourvinos (1er), Christiana Toka (2e), Katerina Savvoglou (3e), collaboration texte Louiza Arkoumanea, collaboration dramaturgique Ariah Lester, Haris Kalaitzidis,
Jeanne Added + Vatican Soundsystem
Grande salle de la Filature
