Laurent Charpentier © Anthony Devaux

Grand-Duc, dans les coulisses d’une pièce aux faux airs de polar

Dans la Petite Salle du Théâtre Ouvert, Laurent Charpentier porte au plateau Grand-Duc d'Alexandre Horréard.

Laurent Charpentier © Anthony Devaux

Dans la Petite Salle du Théâtre ouvert, Laurent Charpentier, entouré de ses proches collaborateurs, prépare son prochain spectacle, Grand-Duc, dont la première aura lieu le 13 mars 2023. Se familiarisant avec le texte qu’il a commandé à son ancien élève Alexandre Horréard, il nous invite le temps d’une répétition à découvrir l’envers du décor d’une création.

© Anthony Devaux

Comment est né le projet ? 

Laurent Charpentier : Depuis plusieurs années, je m’intéresse aux écritures contemporaines. C’est une matière que je trouve intéressante à éprouver au plateau. C’est un endroit créatif et scénique où je me sens bien, car cela répond souvent à des questions que je me pose au quotidien. Après avoir monté l’an passé, au Théâtre de la Ville, Frères et sœurs de Philippe Minyana, j’avais envie de poursuivre l’aventure, mais cette fois en me confrontant au texte d’un jeune auteur, Alexandre Horréard, qui pour la petite histoire est un de mes anciens élèves, devenu depuis un ami. J’avais déjà lu certains de ses écrits. Il a un style, une plume que j’avais envie de porter au plateau. Pendant le premier confinement, nous avons beaucoup échangé. J’ai notamment évoqué avec lui que le meilleur moyen de faire connaître ses textes, c’était d’écrire pour les acteurs. Je lui ai donc proposé d’imaginer un solo, que je pourrais jouer et mettre en scène. À l’époque, je lisais Simenon, on est donc parti sur l’idée d’un polar, du roman noir. Deux mois plus tard, il m’a donné rendez-vous pour me présenter Grand-Duc. Dès la première lecture, j’ai été frappé par la manière dont il avait su insuffler au texte toutes les préoccupations que l’on partage autour du théâtre aujourd’hui, l’importance du récit, de la narration…

Vous êtes au plateau, mais aussi à la mise en scène. Est-ce que c’était important pour vous d’avoir les deux casquettes ? 
Grand-duc d'Alexandre Horréard - Mise en scène et jeu de Laurent Charpentier © Christophe Raynaud de Lage
© Christophe Raynaud de Lage

Laurent Charpentier : Oui, parce qu’Alexandre a vraiment écrit pour moi, pour ma voix. Et puis assez vite, j’ai su où je voulais aller. L’atmosphère qu’il a créée, les récits enchâssés des différents personnages, qu’ils soient réels, spectraux ou fantasmés, la manière dont il brouille les pistes, les genres, tout cela se matérialisait dans mon cerveau. Le passage de la narration à l’incarnation fait partie des choses qui m’intéressent particulièrement, auxquelles j’ai envie de me confronter que ce soit en tant qu’acteur et de metteur en scène. Il y a dans son écriture un effet poupées russes, une matière incroyable à travailler. Je ne pouvais pas faire autrement que d’avoir les deux casquettes. Il y a quelque chose de l’ordre du jubilatoire à essayer en permanence de trouver des solutions pour que le texte prenne vie, mais aussi à réfléchir à la manière dont telle ou telle scène va être ressentie par le ou les spectateurs. Ce n’est pas si simple, car telle que la pièce est écrite, la marge de manœuvre est réduite. Quand un personnage dit ; « et il prend une cigarette », de facto, il prend une cigarette. C’est très cadré, architecturé presque dictatorial. Pour éviter l’écueil d’une forme théâtrale trop littérale, je trouvais intéressant d’aller vers un univers très kafkaïen, entre réalité et fantasme, une sorte de dialogue d’outre-tombe.

Du peu que j’ai entendu du texte, il y a quelque chose d’assez itératif dans le texte…

Laurent Charpentier : Clairement, c’est une écriture très obsessionnelle, très organique. Comme si chaque mot répété était porteur d’énergie, d’une force supplémentaire pour le reste du texte. Et puis, il y a cette quête permanente de raturer les erreurs, de corriger la langue, de chercher la phrase la plus juste. Il y a comme des motifs qui reviennent sans cesse, pour structurer l’ensemble mais aussi pour mener le personnage principal jusqu’au vertige, jusqu’à la perte de repère. À apprendre, c’est loin d’être simple. Il faut s’accrocher, mais ça vaut la peine. 

Des rideaux de différentes couleurs et matières délimitent les espaces, comme si l’on plongeait au cœur du mental des personnages… 

Laurent Charpentier : Absolument. C’est aussi une manière de ne pas tout dévoiler, d’avancer dans la pièce comme on le ferait dans une enquête de police. Ne pas perdre de vue l’idée de départ, on est dans un polar, du moins au début. Un homme est retrouvé nu dans sa baignoire, poignardé en plein cœur. Que lui est-il arrivé ? Qui est le meurtrier ? Quel est son mobile ? Au fur et à mesure des interrogatoires, il y a comme une mise en abîme du personnage de l’inspecteur, de ses propres angoisses existentielles, de la solitude, du manque d’amour, qu’il n’arrive pas à combler. Il est ? en quête d’un absolu, qu’il n’arrive même pas à définir.

Autour de vous, vous avez réuni une équipe de familiers ? 
Grand-duc d'Alexandre Horréard - Mise en scène et jeu de Laurent Charpentier © Christophe Raynaud de Lage
© Christophe Raynaud de Lage

Laurent Charpentier : En partie, oui. Quand on est à la fois sur scène et dans la salle, il est important d’avoir confiance avec les gens avec qui l’on travaille. Gaspard (Pinta) à la scéno et Laïs (Foulc) aux Lumières, ce sont des fidèles. Ils sont indispensables. Je n’ai pas besoin d’expliquer par de longs discours. On se comprend sans se parler. Gaspard, par exemple son univers, est entre concret et abstraction, ce qui corresponde à l’atmosphère que je voulais insuffler à la pièce. Quelque chose de très Lynchien. Laïs, elle, c’est une magicienne. Elle anticipe tout. Elle ne contente pas de faire, mais elle a besoin pour créer de s’emparer de l’objet théâtral, de le questionner, pour proposer, ce qui lui semble le plus pertinent. C’est une artisane extraordinaire. Pour la musique, j’ai demandé à Madame Miniature, de rejoindre l’aventure.  Nous. Nous sommes rencontrés lors d’une tournée au Mexique où j’étais acteur, j’avais adoré comment son travail musical dialoguait merveilleusement avec mon travail au plateau. On était en osmose. C’est donc la première fois que l’on collabore aussi étroitement. Je trouve les univers sonores qu’elle imagine, toujours justes, inspirants, voire envoûtants. Et puis, il y a Delphine (Cognard), une très grande amie depuis le Conservatoire. Elle a accepté d’être mon regard extérieur. Elle vient régulièrement observer avec clairvoyance et bienveillance. Elle m’aide à mettre des mots sur ce que je produis en jeu, afin de doser, préciser, affiner.

Qu’est que cela représente de jouer à théâtre ouvert ? 

Laurent Charpentier : De monter un auteur vivant, dans le lieu des écritures contemporaines, me semble être d’une logique implacable. Je ne voyais pas d’autres endroits pour donner naissance à ce texte. C’est un établissement que je fréquente depuis longtemps. J’en connais l’esthétisme, l’essence, même si je n’avais jamais rencontré la nouvelle directrice, Caroline Marcilhac. Mais j’étais sûr que l’écriture d’Alexandre correspondait potentiellement à ce qu’elle recherchait. A priori, je ne me suis pas trompé. Dès la première lecture, elle a soutenu le projet, nous a accompagnés à toutes les étapes. Elle a toujours été présente pour le défendre. C’est tellement précieux de se sentir épaulé, compris. C’est une belle aventure. Maintenant, Nous avons tous hâte de monter le spectacle, qu’il rencontre son public.

Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore

Grand-Duc de Alexandre Horréard
Théâtre Ouvert
Petite Salle
Avenue Gambetta
75020 Paris
du 13 au 25 mars 2023
Durée 1h15 environ


Mise en scène et jeu – Laurent Charpentier
Scénographie de Gaspard Pinta
Conception lumières de  Laïs Foulc
Conception sonore de Madame Miniature
Images vidéo d’Inès Bernard-Espina
Regard – Delphine Cogniard
Conseil chorégraphique d’Alexandre Nadra
Assistante à la mise en scène – Laurie Coniglio
Assistant à la scénographie – Marius Belmeguenaï
Assistant à la création sonore – Jules Le Buhé

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