Début de soirée. Devant les Subs à Lyon, c’est le calme plat. La billetterie, le bar sont fermés, comme si le lieu faisait relâche. Ce n’est qu’apparence. Pour s’en convaincre, il suffit de suivre les flèches, qui indiquent la Boulangerie, à l’arrière d’un des bâtiments les plus imposants de l’ancien complexe militaire. Au loin, des sons s’échappent. Plus on approche de l’entrée, plus la musique techno s’intensifie. Passé le pas de la porte sur lequel est inscrit en lettres capitales « JEFF KOONS/RAINALD GOETZ/HUBERT COLAS », changement total d’ambiance. Un air surchauffé, des lumières rouges, bleues, violettes, c’est dans une boite de nuit hype que l’on pénètre.
Ça pulse. Les boums-boums, les beats, tapent direct dans le corps, le cœur. Les photos qui défilent, très arty, donnent le ton. Bienvenue dans l’antre de Jeff Koons. Pas tout à fait celui qu’on imagine, mais celui réinventé par Rainald Goetz. Un plasticien contemporain ultra-côté qui erre en discothèque, se laisse griser par l’alcool qui coule à flots, emballe d’un regard, pérore sur son art, parle parfois technique, mais le plus souvent fait l’intéressant face aux journalistes, aux autres artistes, aux collectionneurs. En filigrane, cette œuvre improbable questionne, entre flamboyance, solitude et excès, ce que signifie être artiste aujourd’hui.
Loin de ses chemins habituels, Hubert Colas s’empare avec intelligence du texte du dramaturge allemand, traduit par Mathieu Bertholet avec la collaboration de Christine Seghezzi, et lui donne une dimension immersive saisissante, définitivement plus performative que théâtrale. Les spectateurs assis dans les gradins en auront pour leur frais, c’est sur le dancefloor que la majeure partie de l’action se passe. Hauts paillettes, survêts à la mode, robes pour les garçons, costards pour les filles, maquillages excessifs, les dix interprètes, DJ compris, démultipliés grâce à un écran géant, mouillent la chemise, habitent les différents plateaux et font le show.
Les mots se perdent dans les riffs de guitare, les tempos qui s’accélèrent. Le sens des paroles crachées au micro n’est pas toujours saisissable, il se dilue parfois dans une surabondance de mix. L’espace trop restreint empêche une partie du public chauffé à blanc de rejoindre la piste de danse et de communier avec les performeurs. Mais l’essence de ce Jeff Koons hors norme est là. Le pari d’Hubert Colas de faire théâtre ailleurs, et autrement, a atteint son but. Le DJ set qui suit joue les accords parfaits. Dansez maintenant !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Lyon
Jeff Koons de Rainald Goetz
Traduction de l’allemand – Mathieu Bertholet avec la collaboration de Christine Seghezzi
Création 1er mars 2023
Les Subs
8 bis quai Saint-Vincent
69001 Lyon
Durée 1h45
Mise en scène et scénographie d’Hubert Colas assisté de Shana Lellouch
Avec Joel Assebako, Émile-Samory Fofana, Jardin (Lény Bernay), Karel Kouelany, Lisa Kramarz, Shana Lellouch, Léonie Mbaki Mabolia, Isabelle Mouchard, Thierry Raynaud, Frédéric Schulz-Richard
Musique live – Jardin
Œuvres plastiques et vidéos de Laure Cottin Stefanelli, Sylvain Couzinet-Jacques, John Deneuve
Régie générale et lumière – Nils Doucet
Régie son – Louis Daurat
Régie vidéo – Lucas Tafferant
Stagiaire assistanat à la mise en scène – Morgan Outrequin
Mixage musiques – Oscar Ferran
Collaboration à la dramaturgie – Baudouin Woehl