Après avoir irradié les planches de l’Odéon l’an passé, Chloé Réjon, égérie de Stéphane Braunschweig, reprend actuellement au TNS Comme tu veux de Luigi Pirandello. Un rôle sur mesure pour une comédienne très bien entourée au plateau.
En 1917, la Vénétie est ravagée par les troupes allemandes. Lucia, une riche propriétaire, subit tous les outrages. Sa belle villa ruinée, son mari à la guerre, la jeune épousée disparaît du jour au lendemain. Est-elle morte ? A-t-elle fui par honte ? Nul ne le sait. Le mystère reste entier jusqu’à une nuit de 1929, dans un Berlin en proie aux excès et à la montée fulgurante du nazisme. Lors d’une soirée arrosée, un photographe croît reconnaître la jeune femme. Il faut dire qu’Elma, une danseuse, une demi-mondaine, semble être son portrait craché. Est-elle la vraie Lucia, son sosie, son double, une imposture ?
Prise au piège de ses mensonges, de ses fantômes, de sa volonté d’oublier les mauvais souvenirs, face à l’hypocrisie de ses proches et aux enjeux financiers qui entourent son retour en Italie, elle doute de sa propre identité. L’arrivée fortuite d’une autre inconnue tout droit sortie d’un asile en Autriche, que certains prétendent être la vraie Lucia, va cristalliser les tensions et faire éclater une autre vérité. Après l’horreur, la violence, l’irréparable, peut-on encore être identique, conforme à l’image que les autres ont gravée dans leur mémoire ?
Du Braunschweig au cordeau
Abordant non seulement la quête d’identité, mais aussi la reconstruction de soi après le traumatisme d’un viol, la pièce de Pirandello fait preuve d’une rare acuité. Faisant écho à l’actualité brûlante — le conflit ukrainien, l’explosion des cas de violences sexuelles faites aux femmes — la mise en scène aussi épurée que sophistiquée de Stéphane Braunschweig éclaire les zones d’ombre et peu glorieuses de la guerre. Elle met en lumière, lucidement, efficacement, le cri sidérant d’une femme et de toutes ses semblables face à leur destin, victimes de l’histoire et des hommes.
Incarnant le personnage central de l’œuvre du dramaturge italien, Chloé Réjon sème le trouble dans l’esprit des spectateurs en les l’invitant dans un espace scénique entre raison et folie, entre réel et imaginaire. Entourée d’une troupe de comédiens et comédiennes aguerris et virtuoses, en tête desquels on notera la présence brute et maternelle de l’immense Annie Mercier et celle, douce, de Sharif Andoura, elle habite magistralement la scène et emporte avec elle jusqu’au vertige les secrets de cette héroïne pirandellienne jusqu’au bout des ongles !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Strasbourg
Comme tu me veux de Luigi Pirandello
Le texte est publié aux éditions Les Solitaires Intempestifs, 2022.
Création septembre 2022 Odéon-Théâtre de l’Europe
durée 2h00
Tournée
du 27 février au 4 mars au TNS
Mise en scène, scénographie et traduction française de Stéphane Braunschweig
Avec Sharif Andoura, Jean-Baptiste Anoumon, Claude Duparfait*, Alain Libolt, Annie Mercier, Thierry Paret, Pierric Plathier, Lamya Regragui Muzio, Chloé Réjon & Clémentine Vignais
Collaboration artistique – Anne-Françoise Benhamou
Collaboration à la scénographie – Alexandre de Dardel
Costumes de Thibault Vancraenenbroeck
Lumière de Marion Hewlett
Son de Xavier Jacquot
Vidéo de Maïa Fastinger
Archives vidéo – Catherine Jivora
Coiffures / Maquillage de Karine Guillem Michalski
Chorégraphie de Marion Lévy
Assistanat à la mise en scène – Clémentine Vignais