Géraldine Martineau © Stéphane Lavoué, coll. Comédie-Française

Géraldine Martineau, Dame de la mer à la Comédie-Française

Au Vieux-Colombier, Géraldine Martineau monte La Dame de la mer d'Henrik Ibsen, une première au Français.

Géraldine Martineau © Stéphane Lavoué, coll. Comédie-Française

Auréolée du Molière de la révélation théâtrale féminine en 2016 pour sa prestation virtuose dans Le Poisson Belge de Léonore Confino, la comédienne entre, en octobre 2020, au Français. Singulière, étonnante, intense, Géraldine Martineau monte actuellement au Vieux-Colombier La Dame de la mer d’Ibsen. Au plateau comme en coulisses, elle fait vibrer les rêves d’émancipation d’une femme déchirée entre raison et passion. 

Sa blondeur accompagne la douceur de son visage, les yeux verts s’accordent à son sourire, mais le regard aime la profondeur et dès que sa voix se fait entendre, elle se pose avec force. Géraldine Martineau connaît une voie royale : celle qui a commencé à huit ans dans une troupe amateure chez elle à Nantes, qui a décroché sans difficultés une place dans la classe libre à l’école Florent à dix-sept ans, qui aligne les distinctions pour Aime-moi, son « seule en scène », comme pour La Petite Sirène, ce conte d’Andersen qu’elle a adapté et mis en scène au Vieux-Colombier et qui lui a valu un Molière en 2020.  En 2020 toujours, Eric Ruf, l’administrateur de la Comédie-Française, qui avait déjà été ébloui par sa mise en scène de La Mort de Tintagiles de Maeterlinck que Géraldine avait porté à la scène et qui connaissait bien aussi ses talents de comédienne, l’a engagée dans la troupe. 

Double casquette au Vieux-Co

La Dame de la mer d'Ibsen - Mise en scène de Géraldine Martineau © Vincent Pontet, collection Comédie-Française.

C’est donc comme metteure en scène et comédienne qu’elle apparaît dans cette pièce d’IbsenLa Dame de la mer, car elle a repris le rôle de cette étonnante « dame » initialement prévu avec Suliane Brahim. Prête à se jeter à la mer, dans cette mer tumultueuse qui envahit cette pièce où les forces de la nature, de l’obscurité, des secrets, du mystère travaillent l’âme humaine sans leur laisser de repos.

Ibsen a inventé là un personnage étrange et lumineux, Ellada, deuxième épouse du médecin Wangel merveilleusement joué par Laurent Stocker. Une deuxième épouse qui se sent étrangère, sans amarres, à peine plus âgée que la fille ainée, perdue dans un amour sans fond pour un marin qu’on dit noyé. Elle n’a qu’une passion : la mer à laquelle elle se sent appartenir et où elle se jette dès qu’elle le peut. Ce marin qui l’obsède, elle lui a juré l’amour, mais elle a renoncé à le suivre et il revient la hanter… Géraldine Martineau l’interprète « au bord du gouffre ». On la verra dans le rôle de Créuse dans Médée d’Euripide, mise en scène par Lisaboa Houbrechts salle Richelieu à partir du 11 mai. Les répétitions commencent le lendemain de la dernière de « La dame de la mer ». Entretien avec une jeune femme très douée…

Cette pièce est particulière dans l’œuvre d’Ibsen, sa fin est très étonnante, certains spectateurs sont très étonnés par une fin si peu « ibsénienne », presque un « happy end » ! 

Géraldine Martineau : Lorsque la pièce commence, l’état de la famille du Dr. Wangel est terrible, mais au fur et à mesure de son déroulement, les hantises des uns et des autres se transformeront en souvenirs avec lesquels ils pourront vivre. C’est vrai, c’est surprenant de la part d’Ibsen, on peut douter que ce nouvel équilibre entre les époux tienne, mais je pense que c’est possible. Pour moi, cette fin, c’est une fleur qui renaît de la poussière. Je n’ai pas voulu imposer un seul sens, et cette photo qui clôt la pièce comme un tableau parfait, est un instant parmi d’autres. Il est tout-à-fait possible qu’après, les grincements se fassent à nouveau entendre. Je n’ai pas la réponse, l’être humain est si complexe…

Le personnage qui va le plus loin, c’est le docteur Wangel, joué par Laurent Stocker, extraordinairement subtil : il est l’époux d’Ellida, la fameuse dame de la mer, que vous interprétez. Un homme qui accepte l’émancipation des femmes, à la fin du XIXe siècle…
La Dame de la mer d'Ibsen - Mise en scène de Géraldine Martineau © Vincent Pontet, collection Comédie-Française.

Géraldine Martineau : Ibsen s’intéressait à l’émancipation féminine, au carcan moral, social, à la liberté, on le voit dans toutes ses pièces : Le Canard sauvageHedda GablerLa Maison de poupéeSolness…. Le personnage du docteur Wangel doit arriver à faire exploser quelque chose, et ce quelque chose relève du patriarcat. Cet homme est dans le contrôle : il choisit, décide, mais il a ses lâchetés, son alcoolisme, il sait bien qu’il est « entre le marteau et l’enclume », il doit lâcher quelque chose pour que sa femme lui revienne, pour se libérer lui aussi. 

Qu’est-ce qui vous a plu dans cette pièce ?

Géraldine Martineau : J’ai adoré Ibsen dès que je l’ai découvert en jouant dans « Le canard sauvage » il y a quinze ans. Dans La dame… beaucoup de choses me parlent, certaines font écho à ma vie… et il y a ce parcours d’émancipation féminine, ce sont souvent des hommes qui occupent le premier plan dans les pièces de cette époque. Pour mes mises en scène, j’ai besoin que ça parle de féminin, j’ai besoin de m’identifier. 

Vous interprétez Ellida, un pari difficile que celui de mettre en scène et d’être en scène.

Géraldine Martineau : Nous avons répété il y a deux ans, mais le projet a été mis en attente à cause de la pandémie et Suliane Brahim, qui avait fait toutes les répétitions et était extraordinaire dans le rôle d’Ellida n’était plus disponible lorsque nous avons pu reprendre. Et j’ai eu l’envie, que je n’avais pas encore ressentie, d’interpréter Ellida. Eric Ruf, (l’administrateur de la Comédie-Française) a donné son accord. C’est une expérience totale.

Comment avez-vous abordé ce rôle d’Ellida ?
La Dame de la mer d'Ibsen - Mise en scène de Géraldine Martineau © Vincent Pontet, collection Comédie-Française.

Géraldine Martineau : Ellida est un personnage concret, elle n’a rien d’abstrait. Ses problématiques sont ancrées dans la réalité : comment une promesse non tenue, un problème non résolu sur lequel on n’a pas posé de mots, peuvent créer un magma insondable et provoquer des choses folles, comme la mort d’un enfant. Certaines de ses paroles semblent relever du surnaturel, par exemple lorsqu’elle parle des yeux de son enfant mort, ou dans sa passion irrésistible pour la mer, ou encore dans le fait d’entendre son amant, le marin noyé, lui dire qu’il vient la chercher. Je suis au bord du gouffre quand je joue Ellida, je dois l’être, à l’à-pic, si je ne me tiens pas là, je n’arrive pas à être juste.

Comment avez-vous dirigé les comédiens ?

Géraldine Martineau : En les laissant apporter ce qu’ils sont et en exprimant ma vision du personnage. Nous confrontons nos points de vue. Il faut que les acteurs aient envie, comme moi, d’aller explorer ces grottes secrètes. Je ne suis pas dans un rapport de force, pas plus avec eux qu’avec moi.  
Pour Clément Bresson qui joue le rôle du Marin, nous avons cherché à montrer le marin vivant et le fantôme, il fallait trouver la bonne distance, grâce au micro, au costume un peu lunaire…Pour le docteur Wangel, Laurent Stocker allait naturellement vers quelque chose de très doux, je lui ai proposé de montrer qu’il était davantage dans le contrôle pour qu’à la fin de la pièce, il ait une chose à laquelle renoncer. C’est un comédien que j’adore, que j’admire, qui n’avait peut-être pas encore fait l’expérience de ce genre de répertoire. 

Et Benjamin Lavernhe qui surprend génialement dans le rôle du vieux garçon, le confident que convoque le docteur Wangel pour aider sa femme ?  

Géraldine Martineau : Il est merveilleux. C’est un acteur qui est capable de faire beaucoup de choses. J’aimerais continuer avec lui, chercher encore d’autres voies. J’ai de la chance d’avoir de tels acteurs. 

Alain Lenglet, qui joue Ballested, est un drôle de personnage une sorte de « couteau suisse », peintre, guide, réparateur, que représente-t-il ?
La Dame de la mer d'Ibsen - Mise en scène de Géraldine Martineau © Vincent Pontet, collection Comédie-Française.

Géraldine Martineau : À mes yeux, il est Ibsen, barbe blanche, grands yeux, un artiste un peu distant… Alain en a fait un personnage fantasque, comme il le dit à tous ceux qu’il rencontre : « un étranger qui ne s’est jamais accli, accla… acclimaté… », un étranger qui n’a pas vraiment trouvé sa place, comme Ellida.  

Quelle sera votre prochaine pièce comme metteure en scène ?

Géraldine Martineau : Je ne sais pas encore, je me lance toujours dans des aventures difficiles, Ibsen, Maeterlinck avec La Mort de Tintagiles… Je ne mesure pas combien c’est compliqué, mais j’en sors heureuse. J’ai écrit une pièce sur Sarah Bernhardt dont on célèbre le centenaire de la mort. La pièce sera lue au Petit Palais, le musée qui lui consacrera une exposition en juin 23, et en 2024 je la mettrai en scène. Voici une femme, ultramoderne, toujours enthousiaste, gaie, audacieuse ; une artiste qui n’a jamais craint de casser les codes, d’aller toujours plus loin, de se faire amputer d’une jambe parce qu’elle n’avait pas pris le temps nécessaire de repos et de continuer à jouer ! À côté d’elle, parfois, on a le sentiment qu’on a régressé. 

Propos recueillis de Brigitte Hernandez

La dame de la mer d’Henrik Ibsen
Comédie-Française – Vieux Colombier
21, rue du Vieux Colombier
75006 Paris.
Du 25 janvier au 12 mars 2023.
Le mardi à 19h, du mercredi au samedi à 20h30, le dimanche à 15h.
Durée 1h55.

Version scénique et mise en scène de Géraldine Martineau.
Traduction de Maurice Prozor.
avec Alain Lenglet, Laurent Stocker, Benjamin Lavernhe, Clément Bresson, Géraldine Martineau, Adrien Simion, Élisa Erka, Léa Lopez.
Scénographie de Salma Bordes.
Costumes de Solène Fourt.
Lumières de Laurence Magnée.
Musique originale et son de Simon Dalmais
Travail chorégraphique de Sonia Duchesne
Collaboration artistique de Sylvain Dieuaide
Assistanat à la mise en scèneÉlizabeth Calleo.

Crédit portrait © Stéphane Lavoué, Collection Comédie-Française.
Crédit photos © Vincent Pontet, collection Comédie-Française.

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