Des Femmes qui nagent de Pauline Peyrade - Mise en scène d'Émilie Capliez - © Klara Beck

Des actrices en plan séquence 

À la Comédie de Colmar, avant d'investir le Théâtre de l'Union, le TGP et la Comédie De Reims, Émilie Capliez, porte au plateau Des Femmes qui nagent de Pauline Peyrade.

Des Femmes qui nagent de Pauline Peyrade - Mise en scène d'Émilie Capliez - © Klara Beck

À la Comédie de Colmar, avant d’investir le Théâtre de l’Union, le TGP et la Comédie De Reims, Émilie Capliez, co-directrice du lieu, porte au plateau Des Femmes qui nagent, texte qu’elle a commandé à Pauline Peyrade pour rendre hommage aux stars de cinéma, aux comédiennes qui après avoir été le jouet des hommes, ont décidé de prendre le pouvoir. Une œuvre kaléidoscopique puissante autant que troublante. 

Dans le hall d’un cinéma que l’on pourrait croire désaffecté, des femmes errent, soliloquent, parfois se croisent et échangent quelques mots. Spectatrices, icônes du septième art ou silhouettes figées sur pellicule prennent vie le temps d’une séquence culte, d’un moment marquant, puis disparaissent en coulisses. Traversant l’histoire du cinéma du muet à aujourd’hui, les quatre comédiennes donnent corps à ces actrices et écrivent le récit d’une conquête pour enfin être maîtresses de leur vie, créatrices de leur art, libres d’être bimbos autant que tueuses de monstres. 

Belles de jour 
Des Femmes qui nagent de Pauline Peyrade - Mise en scène d'Émilie Capliez - © Klara Beck

Reflet de la société, le septième art est encore et toujours très machiste. Être femme et se faire un nom, exister non au travers des yeux d’un acteur, d’un réalisateur, mais en tant que personne capable de prendre le pouvoir, de montrer autre chose du monde, est quand on voit les réactions à l’intervention d’Adèle Haenel aux Césars 2020, loin d’être gagné. Pourtant, fatales, sensibles, iconiques, les actrices, chacune à leur manière, ont su s’imposer, passer du stade de l’objet de désir à celui de productrice. 

Jouant sur une compilation de plans séquence, Émilie Capliez les porte au plateau avec sensibilité et intelligence. À la manière d’un kaléidoscope, elle offre un autre regard sur des images culte, des chefs d’œuvres oubliés, des instants magiques, tragiques qui ont marqué le septième art et par ricochet le monde d’aujourd’hui. Ainsi, Marylin Monroe en peignoir de bain dans Something got to give – film resté inachevé – , se mue en Romy Schneider, confrontée à l’arrivée d’une jeune femme qui déstabilise son couple. Delphine Seyrig passe de la fée féministe dans Peau d’âne de Demy à la femme au foyer libre de son corps dans Jeanne Dielman de Chantal Ackerman. Les actrices de Mulholand Drive cherchant un sens au film de Lynch tendent le flambeau à une Sigourney Weaver affirmant par son corps musculeux sa place de tête d’affiche dans la quadrilogie Alien. Anonymes, stars de cinéma, toutes se succèdent dans une sorte de fondu enchaîné au féminin. Parfois, les références se perdent, les images échappent à nos souvenirs, mais là n’est pas l’important. La magie opère, plus vivant que jamais, le cinéma habite littéralement la scène et s’offre au public bien différemment qu’à travers l’écran. 

Une autre focale 
Des Femmes qui nagent de Pauline Peyrade - Mise en scène d'Émilie Capliez - © Klara Beck

En demandant à Pauline Peyrade, un texte évoquant le mouvement féministe par le biais des actrices, Émilie Capliez invite à déplacer le regard, à voir par d’autres prismes le monde du 7e art. Ni soumises, ni victimes, ces centaines d’artistes gravées sur pellicule ou cachées derrière la caméra, esquissent un portrait décomposé, défragmenté, démultiplié de la femme d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Portées par quatre comédiennes -épatante Odja Llorca, divine Catherine Morlot, lumineuse Alma Palacios en alternance avec Louise Chevillotte, pétillante Léa Sery – d’âge et d’horizon différents, ces Femmes qui nagent dans des eaux troubles, sexistes, réinventent le rapport à l’image et invitent à une révolution de nos propres représentations. 

Refusant toute linéarité, la metteuse en scène signe une fresque où se superpose, se conjugue à l’infini une succession de tableaux, d’impressions fugaces. L’ensemble pourrait paraître au premier coup d’œil déstructuré, il n’en est rien. Au fil des séquences, des liens sororaux apparaissent. Unies par la même volonté de construire une autre histoire, de Gena Rowlandsà Karidja Touré, en passant par Kirsten DunstEmma ThomsonAlice Guy ou Marguerite Duras, elles redéfinissent à l’écran une femme moins fantasmée et plus réelle, une femme qui prend son destin en main, une femme tout simplement ! 

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Colmar

Des Femmes qui nagent de Pauline Peyrade assistée de Julien Lewkowicz*
Comédie de Colmar
6 route d’Ingersheim
68000 Colmar
jusqu’au 7 février 2023
durée 1h40

Tournée 
du 21 au 23 février 2023 au Théâtre de l’Union, CDN Limoges (87)
du 08 au 19 mars 2023 au Théâtre Gérard Philipe, CDN Saint-Denis (93)
du 19 au 21 avril 2023 à La Comédie, CDN Reims (51)

mise en scène d’Émilie Capliez
avec Odja Llorca, Catherine Morlot, Alma Palacios en alternance avec Louise Chevillotte, Léa Sery* et onze amatrices en alternance
dramaturgie de Juliette de Beaucham
scénographie d’Alban Ho Van
lumière de Kelig Le Bars
musique de Sylvain Jacques
costumes de Caroline Tavernier
images et vidéo d’Yann Philippe

Crédit photos © Klara Beck

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