En ouverture de la cinquième édition du Festival Bruit organisé par le collectif La Vie Brève, qui dirige depuis juillet 2019 le théâtre de l’Aquarium, Juliette Navis présente J.C. et Céline les deux premiers volets d’un triptyque qui utilise des figures populaires et archétypales, comme Jean-Claude Van Damme et Céline Dion, pour évoquer notre rapport au monde.
Comment l’art vivant est-il entré dans votre vie ?
Juliette Navis : Je dirais de façon assez classique. Rien d’extravagant. Ado, je prenais des cours de théâtre. Cela m’a plu. J’ai donc tenté et réussi le concours du Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique de Paris. Assez vite, j’ai eu le besoin d’aller un peu plus loin, de diriger des ateliers, d’aller au-delà du jeu, de l’incarnation. Mais c’est ma rencontre avec le metteur en scène Arpad Schilling, qui a exacerbé et cristallisé toutes mes envies et tous mes désirs artistiques. Durant six ans, j’ai collaboré à ses créations, j’ai pu développer l’écriture au plateau. Ce qui me plaît chez lui, c’est la manière dont il travaille. Le comédien n’est pas qu’une simple marionnette au service du metteur en scène, mais bel et bien un élément actif qui participe au processus créatif. Il encourage les artistes avec qui il travaille à imaginer leur propre scène, à coopérer à l’écriture, à se libérer d’un rôle bien défini pour aller plus loin, dépasser leurs limites. Ce travail collectif me porte et est à la base de mes propres spectacles. Mon approche est légèrement différente, mais se nourrit de mon expérience à ses côtés. Je définis d’abord une structure dramaturgique très forte, dans laquelle les interprètes peuvent évoluer. Je travaille en résonance avec les corps, avec la particularité de chacun.
Dans les deux spectacles que vous présentez, qui sont de véritables performances de comédiens, vous utiliser des célébrités comme catalyseur de vos récits. Qu’est-ce qui vous inspire ?
Juliette Navis : c’est comme un jeu. Avec Douglas Grauwels et Laure Mathis, on travaille sur des figures extrêmement populaires pour capter l’attention du public avant de les entraîner dans d’autres histoires, une critique caustique du système monétaire dans J.C. , comment appréhender la mort dans Céline. C’est une façon de mettre en scène quelque chose qui s’apparente au clown, au bouffon. Ainsi, ces personnages, dont je cherche à « voler » certaines particularités inspirantes ou qui résonne de manière particulière en nous, servent à mettre en avant nos frustrations. C’est comme un jeu de miroirs, où l’on projette nos angoisses, nos doutes, nos craintes. J’utilise ces figures populaires pour permettre une sorte de décalage, parler de sujets plus graves. Dans le cas de J.C., je n’avais pas envie de parler frontalement d’argent, de finance. Il me semblait que partir de Vandamme était une manière d’instiller de l’humour et une distance avec un propos plus noir. Après ce sont des spectacles extrêmement fragiles, de vraies performances sur le fil. Rien n’est figé, tout dépend des réactions du public. Il y a des lignes directrices, mais pas de filets sécurisés. Laure Mathis et Douglas Grauwels sont libres d’improviser, de lâcher prise. C’est très vivant.
Le choix de Vandamme et Céline Dion, est-il lié aux comédiens ?
Juliette Navis : Pas vraiment. Je définis d’abord le sujet, la thématique que je veux traiter, et la personnalité que je souhaite porter au plateau. Les bases étant définies, avec le ou la comédienne, on commence à s’amuser, à voir comment l’on peut donner corps au spectacle. Dans le cas de Laure Mathis, ce qui m’intéressait, c’était de l’embarquer dans un registre très décalé par rapport à ce qu’elle a l’habitude de faire. On se connaît de plus longtemps, nous nous étions rencontrées par l’intermédiaire de Jeanne Candel et de La Vie Brève. Nous avons travaillé ensemble sur quelques projets. En lui offrant le rôle de Céline, c’était l’occasion de l’amener dans un autre monde. Le travail avec Philippe Couture, le coach québécois, n’avait pas pour objectif de la rendre québécoise, mais plutôt de lui donner les outils pour comprendre cette culture et rendre crédible cette évocation surréaliste. Sa sensibilité, sa présence lumineuse, virevoltante, ont fait le reste. C’était une évidence. Pour J.C. c’est un peu le même principe. Dans ce que je souhaitais monter au plateau, il y avait quelque chose d’extrêmement intellectuel, où était développer des théories monétaires. Il fallait donc un comédien qui puisse avoir à la fois le corps musculeux de Vandamme et le cerveau d’un prof d’économie. Douglas (Grauwels) est parfait dans ce double emploi.
Vous parlez de trilogie. Quelle sera la troisième figure populaire ?
Juliette Navis : Je ne sais pas encore et je ne suis pas sûre d’utiliser le même procédé. Ce qui est certain pour l’instant, c’est que Douglas sera de la partie et que la thématique sera le sexe. L’objectif n’est pas de parler de genre, mais bien d’aborder notre intimité. J’ai vraiment envie d’aller creuser des choses beaucoup plus personnelles, d’évoquer nos désirs, mais aussi d’aller du côté de la science-fiction.
Que représente pour vous le Festival Bruit ?
Juliette Navis : C’est très important pour moi. Je suis extrêmement heureuse et fière d’être programmée à l’Aquarium. J’aime profondément le travail de la Vie Brève. C’est comme une famille, qui fut un temps la mienne. Avec Jeanne, nous nous avons toutes les deux débutés nos carrières avec Arpad, il était donc logique que nous travaillions sur des projets communs. Son univers m’est coutumier, même si je m’en suis éloignée pour suivre mon propre chemin, construire ma propre pensée. J’aime profondément ses spectacles, sa sensibilité.
Que peut-on vous souhaiter ?
Juliette Navis : D’avoir la chance de pouvoir continuer à créer le plus librement possible.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Céline de Juliette Navis
Théâtre de l’Aquarium
les 20 et 21 janvier 2023
Durée 1h30 environ
Tournée
25 au 27 janvier 2023 au Théâtre Sorano de Toulouse
les 10 et 11 février 2023 à L’Étoile du Nord
Automne 2023 au Kinneksbond – Luxembourg
Mise en scène de Juliette Navis
Avec Laure Mathis
Dramaturgie de Nils Haarmann
Création sonore d’Antoine Richard
Création lumière de Fabrice Ollivier
Scénographie d’Arnaud Troalic
Chorégraphie de Romain Guion
Création costume de Pauline Kieffer
Création maquillage / coiffure de Maurine Baldassari
Crédit portrait © Frédérick Vin
Crédit photos © Alice Piemme et © Philippe Couture