Inauguré en octobre dernier, le nouvel espace d’entraînement du pôle national cirque de Bourg Saint-Andéol est un outil très attendu des circassiens, toutes disciplines confondues. Situé dans la nef d’une ancienne chapelle désacralisée, le lieu devrait permettre à Alain Reynaud, fondateur et directeur de la structure, d’ancrer davantage encore son projet sur le territoire et d’accueillir un plus grand nombre d’artistes.
En ce mois de novembre, le soleil brille sur la petite ville ardéchoise. Sur les hauteurs de la cité, juste en face la somptueuse résidence de l’ancien maire, le banquier Marc Pradelle, l’ancien édifice religieux des Récollets, ayant abrité tour à tour une communauté religieuse, un pensionnat pour jeunes garçons et une école privée, domine le vallon de Tourne. En 2008, après pas mal de pérégrinations, mais surtout grâce à la volonté pugnace d’un enfant du pays, Alain Reynaud, et de sa comparse Claire Peysson, La Cascade voit le jour et l’ensemble des quatre bâtiments reliés par un cloître est définitivement dédiés à la pratique du cirque. Trois ans plus tard, le ministère labélise la structure associative en Pôle National des Arts du Cirque. Le défi lancé par la compagnie des Nouveaux Nez, fondée en 1991 à Bourg Saint-Andéol, d’implanter au cœur de l’Ardèche, un lieu de création et de rencontre artistique, est enfin une réalité.
Une vie de quartier
Implantée en plein centre-ville et au cœur du bourg historique, en surplomb du lavoir d’imitation antique, construit au milieu du XIXe siècle d’après les plans dressés par l’architecte bourguésan Baussan et de la fameuse fresque du dieu d’origine iranienne Mithra, La Cascade se veut un lieu ouvert, attractif, tourné vers l’extérieur. Proposant aux habitants de nombreuses animations, des sorties des résidences, des ateliers, des expositions, mais aussi des activités extra-circassiennes, comme le dessin et le chant, le pôle cirque multiplie les initiatives, les occasions de faire découvrir cette discipline artistique bien au-delà des carcans dans lesquels l’inconscient collectif l’a enfermée depuis longtemps. Bien sûr, le folklore reste de mise – une dizaine de caravanes sont parquées à l’année devant la bâtisse – , mais les pratiques ont changé. Entremêlant les arts vivants, hybridant les formes, les compagnies et les artistes ont fait du cirque contemporain un lieu de rencontres, d’histoires et de récits. En transformant la chapelle inoccupée, adjacente à l’ancien cloître, en lieu dédié à l’entraînement des professionnels, s’inspirant notamment de La Grainerie de Toulouse et de La Central del Circ de Barcelone, Alain Reynaud souhaitait non seulement pallier un manque en infrastructures d’entraînement dans l’Hexagone, mais aussi offrir aux jeunes compagnies de la région, comme à celles venant des quatre coins du monde, un espace dédié en dialogue avec les habitants et la ville. « Quand nous avons commencé à évoquer notre volonté d’avoir au sein de la Cascade, un espace d’entraînement, explique-t-il, il a très tôt été décidé en accord avec la mairie de faire en sorte que cet espace soit ouvert sur la cité. Dans cette optique, une voie piétonne a été ouverte le long de la Chapelle pour permettre aux passants d’avoir un lien direct et visuel avec les artistes s’entraînant, et inversement permettre aux artistes, d’avoir vue sur l’extérieur. »
Inciter les jeunes circassiens à s’installer sur le territoire
Guidée par Alain Reynaud et Marie-O Roux, secrétaire générale, de La Cascade, Pôle national cirque Ardèche-Auvergne-Rhône-Alpes, la visite prend des airs de balade de santé. Des salles de répétitions où au réfectoire où s’active le personnel de la structure en vue des derniers préparatifs pour la Nuit du cirque, en passant par l’équipe du jeune et virtuose jongleur Ricardo Serrao Mendes, sorti en 2020 du CNAC, c’est toute une ruche dédiée aux arts du cirque qui s’agite et prend possession du moindre recoin pour faire vivre le lieu, lui donner une âme chaleureuse et conviviale. Quand on pousse les portes toutes neuves de l’ancienne chapelle, c’est encore un autre monde qui se dévoile. Au fond de salle, sur une estrade en lieu et place de l’ancien autel, Xavier, un porteur et Vanilla, une voltigeuse, s’échauffent. Dans les airs, Valentino, un acrobate, essaie quelques figures accrochées à des pans de tissus. Au sol, vers ce qui fut jadis le portail d’entrée, Léna fixe un mât chinois. L’ambiance est à la fois studieuse et chaleureuse. Chacun aidant l’autre à installer son agrès, à préparer son entrainement. De leur échange naît une certitude, tous sont très contents des dernières évolutions de la Cascade. « Clairement, souligne Léna, savoir que tout ce matériel, dernière génération, est à disposition sur inscription pour une somme modique – 6 euros la journée, 20 euros la semaine, 50 euros le mois et 200 euros l’année – est très stimulant. Cela donne envie de s’installer dans le coin, d’autant que lorsqu’on se balade en ville, que l’on va au marché, nombreux sont les habitants qui nous questionnent sur nos pratiques. Ils sont très en demande, très curieux. C’est très encourageant pour nous qui débutons. » À les entendre,Le pari d’Alain Reynaud semble déjà gagner.
Un cocon de métal et de sciure de bois
L’espace est immense, plus de 228 m2 dédiés aux pratiques circassiennes. Pensé avec ingéniosité, ce lieu d’entrainement offre aux artistes tout le nécessaire pour travailler : plancher de bois, immenses fenêtres rappelant les vitraux d’antan, mezzanine d’échauffement de 35 m2, quatre portiques métalliques de 9,40 m de hauteur sur 9 m de largeur avec de très nombreuses accroches prévues pour l’implantation d’agrès aériens, 12 ancrages au sol et différents systèmes permettant l’installation d’agrès spécifiques. Par ailleurs, afin d’éviter les blessures et les déperditions de chaleur, les ingénieurs à l’ouvrage ont recouvert la pierre d’une substance rappelant le béton, mais totalement mole faite à partir de sciure de bois et de matière organique. L’effet est bluffant. À voir comment les quatre jeunes circassiens investissent l’espace, on sent l’envie d’en tester les limites, d’en essayer les moindres possibilités. « On est très fier, explique Alain Reynaud, de voir défiler depuis le 1er octobre dernier, un grand nombre d’artistes. Tous ont à cœur de faire vivre le lieu. Avec le confinement, nombreux d’entre eux ont eu des difficultés à pratiquer. Grâce à ce que nous venons de mettre en place, nous espérons changer cela. Tous les circassiens ont besoin de s’entraîner, de trouver dans les structures des lieux dédiés à cet effet. »
Véritable innovation permettant un décloisonnement de la pratique circassienne, le nouvel espace d’entrainement de La Cascade séduit par sa taille, par sa luminosité, par son implantation au cœur de la ville. Une vraie révolution artistique qui va de pair avec une nouveau regard des institutions et des tutelles à l’égard de cette pratique en pleine ébullition. Plus près des yeux, le cirque vibre d’un éclat nouveau. Une évolution salutaire que de nombreuses initiatives sortent enfin de l’ombre.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
La Cascade – pôle national Cirque
9 Av. Marc Pradelle
07700 Bourg-Saint-Andéol
Crédit photos © Daniel Michelon & © DR