Depuis janvier 2022, le chorégraphe, fondateur de la compagnie Massala, s’est installé au Havre pour succéder à Emmanuelle Vo-Dinh à la tête du CCN de la cité portuaire. À peine installé l’artiste d’origine marocaine lance la première édition du festival Plein Phare et présente deux créations Âmes et Cordes. Décidément, il en a sous le pied. Rencontre.
Quelles sont les grandes lignes de votre projet ?
Fouad Boussouf : Je l’ai pensé comme un prolongement de ce que je fais déjà au sein de ma compagnie. C’est-à-dire en souhaitant mener de front, les créations qui sont le moteur essentiel à mon équilibre, mais aussi le travail de transmission, de partage. Il est nécessaire de combiner les deux pour faire rayonner l’action du CNN. Depuis longtemps, j’ai cette appétence pour la transmission. C’est une composante essentielle de tout ce que j’entreprends. J’enseigne depuis un moment maintenant, j’anime des ateliers pour professionnels et pour amateurs. Et J’ai toujours cherché à être un lien avec le public, à dépasser le quatrième mur, à discuter avec eux, à partager une expérience commune. C’est donc tout naturellement que je souhaite continuer dans cette voie, d’autant qu’avec le Phare, j’ai un outil formidable. Je vais pouvoir voir plus grand, être plus ambitieux, affirmer une écriture, un esthétisme, une vision de la danse, la sortir de son carcan.
Comment avez-vous appréhendé le territoire du Havre ?
Fouad Boussouf : Avant de postuler, je ne connaissais pas du tout la ville. J’ai appris à la connaître au fil de mes visites. Dès que j’ai commencé à envisager l’idée de tenter ma chance à la tête du CNN, je suis venu régulièrement. J’avais besoin de m’imprégner de son atmosphère, d’aller à la rencontre de la population. Très vite, je me suis rendu compte qu’il y avait en danse, un vrai potentiel à jouer. Le Havre a une histoire particulière. C’est une ville qui a été détruite pendant la guerre puis reconstruite. C’est un territoire assez rude, fait de contrastes sociaux importants. La cité ne se livre pas facilement. Il faut faire des efforts pour l’appréhender. Un défi que j’avais envie de relever. Assez rapidement, j’ai compris que c’était là que je devais être. Il y avait comme une vibration, qui m’appelait. C’est assez bizarre, voire inexplicable. J’ai suivi mon étoile.
Vous êtes arrivé, il y a un peu moins d’un an. Et déjà un festival….
Fouad Boussouf : Oui, c’est assez rapide. Mais il y avait urgence à rencontrer les Havrais, à présenter mon travail, à leur montrer qui j’étais et ce que je pouvais apporter à la culture de la ville. Et puis, pour moi, il y avait aussi la nécessité de créer. Je suis un artiste avant tout. Cela fait partie de mon identité. L’objectif avec cette première édition de Plein Phare, c’est de proposer au public des compagnies, des artistes que je connais et dont j’apprécie le travail, de leur faire découvrir les diversités de la danse contemporaine, son accessibilité au plus grand nombre. Du coup, nous avons programmé avec l’équipe du Phare, 46 représentations. C’est assez fou. Mais c’était pour moi une évidence, car cela fait partie des missions d’un CCN.
Comment en si peu de temps avez-vous fait une telle programmation ?
Fouad Boussouf : Pour être tout à fait honnête, j’ai commencé à imaginer un canevas en octobre dernier, juste après avoir été nommé mais avant même de prendre mes fonctions. C’était important que les artistes que je souhaitais convier puissent être disponibles. Après, il a fallu du temps pour tout organiser, pour faire en sorte que tout fonctionne, alors que l’équipe était à l’époque en sous-effectif. Mais nous étions tous motivés alors bon an mal an, on a réussi ce pari fou.
La programmation de cette première édition est très éclectique …
Fouad Boussouf : Oui, c’était pour moi essentiel. Je ne souhaitais pas un seul esthétisme, mais des univers que se confrontent, des formes très différentes, qui offrent aux Havrais une vraie diversité chorégraphique. Ainsi, ils peuvent à la fois voir des solos, des duos et des pièces de groupe, des artistes connus et d’autres émergents, qu’ils puissent naviguer dans des univers différents, des écritures distinctes. Prenons le cas de Rémi Esterle, danseur hip hop, circassien, formé au contemporain, qui est parti à Buenos Aires apprendre le tango argentin. Il revient avec une création Beauté bâtarde, où s’entremêle sur du slam, danse d’ici et d’ailleurs. On peut aussi évoquer la présence de Jann Gallois, qui vient du hip hop, mais qui s’est nourri au fil de ses créations d’une écriture qui emprunte au contemporain sa grammaire. Il y a aussi du flamenco, des danses venues d’Italie. J’ai essayé vraiment d’offrir aux festivaliers, un éventail de ce qu’est la danse contemporaine aujourd’hui. Et j’ai aussi souhaité leur proposer des formes exigeantes mais accessibles.
Nous en sommes encore aux premiers jours du festival, mais le public est au rendez-vous …
Fouad Boussouf : Oui, cela fait chaud au cœur. Mais je ne peux pas vendre la peau de l’ours. Il y a encore plusieurs jours de festival. Nous verrons bien. Il est vraiment intéressant de constater, qu’il y a chez le public havrais une vraie appétence pour ces formes performatives et chorégraphiques. Il y a une vraie attente sur la danse. Cela va d’ailleurs faire partie de mon travail, maintenant de voir avec les autres partenaires culturels de l’agglomération, comment on peut proposer au fil de l’année, une diversité de spectacles. Pour cette première édition, nous travaillons déjà avec onze structures de la ville. J’espère l’an prochain, aller plus loin, faire grossir le projet, et pourquoi pas sortir du Havre, aller dans des zones rurales.
Y-aura-t-il d’autres temps forts dans l’année ?
Fouad Boussouf : Au printemps, nous allons investir la ville. Les Havrais vivent dehors d’avril à septembre. Il était donc logique d’imaginer un moment au printemps au cours duquel on crée in situ. La ville, avec son architecture si particulière, sa grève, sa plage de galets, son port, est un formidable terrain pour stimuler nos imaginaires. Les performances seront gratuites accessibles à tous.
Le reste du temps qu’allez-vous vous faire au Phare ?
Fouad Boussouf : Développer la mission du CNN, qui est d’accueillir des artistes, soutenir des projets, coproduire un certain nombre de créations, de permettre à certains chorégraphes émergents de sortir de l’ombre. Le Phare a une forte vocation à recevoir des compagnies en résidence. Nous allons donc faire en sorte de les accueillir au mieux, mais aussi leur permettre de se frotter au public, de présenter des sorties de résidences, des extraits de leur travail. Il est important de nous tourner vers la ville, d’organiser des ateliers, de faire découvrir la danse dans tous ses états.
Vous êtes déjà bien occupés, avez-vous d’autres projets ?
Fouad Boussouf : oui. Une fois le festival terminé, je pars à Genève. À la demande Sidi Larbi Cherkaoui, j’ai accepté de créer une pièce pour le Ballet du Grand Théâtre. En parallèle, je travaille aussi à mes propres créations., dont la prochaine verra le jour en septembre 2023 dans le cadre de la biennale de la Danse à Lyon. C’est une pièce entièrement féminine, sorte de pendant à Näss.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Festival Plein Phare
Du 19 novembre au 3 décembre 2022
Le Phare -CCN du Havre Normandie
30 Rue des Briquetiers
76600 Le Havre
crédit portrait © Gaspard Hoel
Crédit photos © Fouad Boussouf, © Sara Meliti & © Charlotte Audureau