Au théâtre de Sartrouville, pour sa dernière création en tant que directeur, Sylvain Maurice monte, avec Isabelle Carré, La Campagne de Martin Crimp. Plongeant au cœur noir de ce thriller sentimental sur fond de couple à la dérive, de tromperies et de fausses promesses, il signe une mise en scène autant mystérieuse que glaçante.
Au cœur de la nuit, dans une maison isolée, une femme assise sur une immense table, qui sert d’unique décor, s’amuse à découper des bouts de papier. S’appliquant à suivre les courbes, les volutes des dessins imprimés, Corinne (Isabelle Carré) n’entend pas Richard (Yannick Choirat) son mari rentré. Il est médecin de campagne, il rentre d’une urgence. Entre eux, la connivence est palpable. L’un finit les phrases de l’autre. Elle questionne sans attendre de réponse, comme si tout était limpide, évident. Pourtant, l’atmosphère se tend imperceptiblement, comme si derrière les sourires, les regards complices, l’entente était factice.
Une inconnue dans l’équation
Entre eux, une jeune femme (Manon Clavel) d’une vingtaine d’années, une inconnue se dresse. Quelques heures plus tôt, Richard l’a recueillie. Elle était inconsciente sur le bord de la route. Il n’a pas eu le cœur de l’abandonner à son triste sort. Pour l’heure, elle dort dans la pièce à côté. Une impression de déjà-vu tourmente Corinne. Derrière les non-dits, les mensonges mal ficelés de son époux, elle sent qu’il y a autre chose, qu’il lui cache des informations, qu’un lien les unit. Sans jamais se repartir de sa bonne humeur, de son calme, elle met son mari sur le gril, ne lui laisse aucun répit. De ce match de boxe verbale, le couple ne sort pas indemne. L’homme finit par céder la place. Il est temps que la jeune fille d’entrer en scène. Refusant d’être une nouvelle fois, la dupe des jeux malsains de son mari, Corinne prêche le faux pour savoir le vrai. Mensonges, trahisons, et tromperies font jour à tous les étages. Le tableau idyllique se fissure.
Insaisissable Crimp
Plume acérée autant qu’elliptique, Martin Crimp s’amuse à entraîner le spectateur dans un jeu de pistes énigmatiques et mystérieux. De chausse-trappes en demi-vérités, il joue avec ses personnages qui derrière les sourires de façade, des visages angéliques, avenants, cachent de biens étranges zones d’ombres. Ici, le triangle amoureux, n’est qu’un prétexte. Creusant au scalpel la psychologie de ces protagonistes, l’auteur britannique signe un thriller psychologique qui transforme la pièce de boulevard en un drame intime.
Sylvain Maurice joue les marionnetistes
Avec espièglerie, jouant des magnifiques clairs-obscurs de Rodolphe Martin et de la musique très hitchcockienne, Sylvain Maurice s’empare de cette matière incroyable, jouissive et inquiétante. Dirigeant au cordeau ses trois comédiens – irradiante Isabelle Carré, ténébreux Yannick Choirat et lumineuse Manon Clavel, véritable révélation du spectacle – , il fait de ce triangle amoureux, un chef d’œuvre de perversité. À chaque nouvelle révélation, à chaque joute verbale, de plus en plus sibyllines, l’ambiance se resserre, l’air manque. Les comportements se tendent, les visages perdent de leur superbe. Les traits se contractent. Les corps sont exsangues, Mais la vérité finira-t-elle pas éclater ? Rien n’est moins sûr. À chacun de se faire son idée !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
La Campagne de Martin Crimp
La Scala Paris
13 boulevard de Strasbourg
75010 Paris.
Du 13 mai au 18 juin 2023.
Du mardi au samedi à 21h, dimanche à 17h.
Durée 1h15 environ
Théâtre de Sartrouville
Place Jacques Brel
78500 Sartrouville
jusqu’au 26 novembre 2022.
Tournée
du 1er au 3 décembre au Théâtre Montansier, Versailles
du 7 au 9 décembre 2022 à la Comédie de Picardie, Amiens
du 5 au 22 janvier 2023 au Théâtre du Rond-Point, Paris
du 26 au 28 janvier 2023 au Théâtre national de Nice
Mise en scène de Sylvain Maurice assisté de Béatrice Vincent
Traduction de Philippe Djian
Avec Isabelle Carré, Yannick Choirat et Manon Clavel
Collaboration artistique – Julia Lenze
Scénographie de Sylvain Maurice en collaboration avec Margot Clavières
Lumière de Rodolphe Martin
Costumes d’Olga Karpinsky
Son de Jean De Almeida
Régie générale d’André Neri
Crédit photos © Christophe Raynaud de Lage