Avenue Montaigne, dans la petite salle du théâtre dirigée par Stéphanie Fagadau, Ophélia Kolb se glisse dans les mots de l’inconnue de Zweig et invite à une balade érotomane et enflammée sur la carte de Tendre d’une femme éperdument amoureuse d’un homme qui jamais ne la reconnaît.
Vienne, au début du siècle dernier, la vie est douce, belle. Dans un immeuble que l’on imagine cossu, une jeune fille de treize ans tombe sous le charme d’un grand et ténébreux écrivain. Elle l’épie, le suit, fait ce qu’il faut pour se faire remarquer. Tête folle, à dix-huit ans, elle se donne à lui sans résistance. L’amour qu’elle lui porte est plus fort que tout. Trois nuits de passion, un enfant plus tard, et, déjà, dans sa mémoire, son souvenir s’est évaporé. Devenue courtisane pour offrir à leur enfant le meilleur, elle le recroise. Ils recouchent ensemble. Jamais, à aucun instant, ne l’effleure qu’ils se connaissent. Il repart, l’oublie à nouveau. Mais la mort de ce fils tant aimé va changer la donne. Dans une lettre testament, elle lui conte son histoire, son amour à sens unique, mais ne lui fait aucun reproche. C’est la vie, c’est ainsi.
Bien sûr, le texte est beau, fort, poétique. Bien sûr, il est l’archétype du romantisme, mais que dit-il au fond des femmes… C’est bien là que la question de porter au plateau ce roman, aujourd’hui, se pose. Soumise au désir de l’homme, vivant dans son ombre, refusant de le mettre face à ses devoirs de séducteur patenté, celle dont on ne connaitra jamais le nom est un cœur palpitant trop prompt à s’embraser, une victime consentante, voire sacrificielle, d’une société encore et toujours patriarcale.
Au-delà de ces considérations féministes, Cette énième version d’une Lettre d’une inconnue est un bel objet théâtral. Portée par la mise en scène intimiste de Bertrand Marcos, Ophélia Kolb brûle littéralement les planches. Lumineuse, habitée par le texte, elle joue à fleur de peau, touche en plein cœur et livre une prestation unique, toute en délicatesse et émotion contenue. Bravo l’artiste !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Lettre d’une inconnue d’après le roman de Stefan Zweig
Studio des Champs-Élysées
15 avenue Montaigne
75008 Paris
à partir du 16 septembre 2022
du mercredi au samedi à 21h et le dimanche à 16h
durée 1h15 environ
Adaptation et mise en scène de Bertrand Marcos
avec Ophélia Kolb
Décor de Sarah Teissier et Anissa Beriel
Lumières de Patrick Clitus
Costume de Marion Xardel
Son de Clémence Reliat et Jules Fernagut
Crédit photos © Lisa Lesourd
