À l’occasion de la quatrième édition de la Nuit du Cirque, qui se tiendra partout en France et même au-delà de nos frontière, du 11 au 13 novembre 2022, Dephine Poueymidanet, secrétaire générale de Territoire de cirque, qui coordonne l’événement, évoque le temps d’une discussion à bâtons rompus les grandes lignes de cette manifestation XXL et les enjeux de cette discipline aujourd’hui. Rencontres.
Comment s’annonce cette édition de la Nuit du cirque ?
Dephine Poueymidanet : Dans l’absolu, très bien ! L’adhésion à cet événement pour des retrouvailles post Covid l’an dernier, se confirme cette année avec, sur un même format de 72 heures, 150 structures participantes, 158 propositions dont 23 créations, 246 rendez-vous, 12 spectacles sous chapiteau et 10 pays étrangers qui s’associent à l’événement. Nous renouvelons nos partenariats avec l’Institut Français et Circostrada. BUZZ coordonne avec nous l’événement en Allemagne et Pro Cirque nous a rejoint l’an dernier pour l’organiser en Suisse. L’implication des territoires ultramarins et les dynamiques initiées avec les « pays frères » s’enrichissent.
Étant donné le contexte, c’est toujours incroyable de voir comment un projet décidé sur un coin de table, quatre ans plus tôt, prend une telle tournure.
Dans le particulier, à J – 4 de la manifestation, ma réalité émotionnelle est plus précaire, je dois dire… Forte de ce déploiement, je reste en attente de savoir comment tout va se passer dans chacune des structures, partout en France et à l’étranger, et surtout comment toutes ces propositions vont être partagées avec les publics, parce que in fine, c’est ça qui compte. Le cirque réunit largement hommes et femmes, mixe les populations et les générations. La Nuit du Cirque est aussi l’occasion de montrer les relations exceptionnelles qui se tissent entre artistes, lieux et habitants tout au long de l’année sur les territoires.
Comment s’est construit la programmation ?
Dephine Poueymidanet : C’est la somme des programmations proposées par l’ensemble des participant.e.s qui fait La Nuit du Cirque. Donc pas de programmation à proprement parler autour d’une ligne artistique préétablie. L’éditorialisation de l’événement se fait a posteriori, une fois les propositions réunies et examinées.
Depuis la première édition, le principe reste identique : montrer la vitalité et la diversité du cirque de création. On va le voir encore lors de cette Nuit, les spectacles sont tellement pluriels que toute tentative de définition stricte du cirque d’aujourd’hui est vite mise à mal. Il se produit en salle, sous chapiteau, en extérieur, à domicile, dans les médiathèques, les musées, les yourtes… Déambulation, circulaire, frontal, trifrontal, ou expérience virtuelle, le public sera invité dans des espaces multiples. Il va participer ou assister à une performance, un spectacle de quelques minutes ou plusieurs heures. Les spectacles mettent en jeu plusieurs disciplines de cirque ou une seule, d’autres arts vivants ou visuels. De nouveaux agrès s’inventent, les rapports aux publics sont bouleversés. Le cirque portera dans La Nuit des paroles intimes et singulières ou collectives, des sujets d’actualité et politiques, poétiques aussi. Toute cette effervescence témoigne d’une forme de liberté vis-à-vis des cadres, des formats, des écritures. Ceci étant, la Nuit du Cirque constitue une photographie de la création circassienne à l’instant T et, chaque année, certaines tendances, mouvements ou influences se dessinent. Aux corps contraints par l’arrêt imposé par le confinement l’an dernier, on assiste à une forme d’expression libérée des corps, à un cirque qui se re-déploie « À corps et à cri ».
Quels sont les grands événements de cette nouvelle édition ?
Dephine Poueymidanet : Quelques créations sont évidemment attendues. Les corps s’expriment dans certaines pièces au travers de performances renouvelées par l’invention de nouveaux agrès. Avec Out of the Blue, les deux acrobates Frédéri Vernier et Sébastien Davis-VanGelder, immergés dans un aquarium de 8000 litres d’eau, font de l’apnée une nouvelle discipline de cirque. Entre résistance et flottaison, la réalité du monde terrestre laisse place à la rêverie du monde aquatique.
Dans l’Espace, les mécanismes et enjeux relationnels deviennent sujet et fondement de la création pour raconter la relation à soi, à l’autre et au monde. La Cie Un Loup pour l’Homme poursuit ici son exploration du main à main et appréhende l’interdépendance aux lois de la nature de quatre acrobates.
Ce mouvement de libération des corps se traduit également par le retour des grandes formes. On pourra notamment découvrir Les Fauves, le nouveau spectacle de la Cie Ea Eo qui se déroule sous un chapiteau bulle qui est à la fois une œuvre d’art immersive autant qu’un espace d’exploration d’un jonglage précieux et débordant. De nombreux collectifs sont au rendez-vous : PIC sonne les joyeuses retrouvailles de Surnatural Orchestra et du Cirque Inextremiste, après Esquif en 2016, le collectif d’équilibristes Courcirkoui, Les 7 doigts de la main, et en étape de travail pour leur création, l’année prochaine, la Compagnie El Nucleo et le Collectif Le Petit Travers.
Travailler au corps la question du langage implique parfois de mettre en mots. Les artistes de cirque prennent aussi la parole pour faire récit, raconter l’intime ou poser un regard sur l’actualité du monde. Dans une forme autobiographique, Time to Tell, Martin Palisse qui s’est associé au metteur en scène David Gauchard, aborde la question du rapport à sa maladie et son incidence dans le rapport aux autres, au temps et dans ses choix de vie. La Cie La Sensitive, avec La Conf’ aborde de manière burlesque les problématiques environnementales et interroge nos modèles sociétaux. Sandrine Juglair, dans Dicklove continue à explorer de manière profondément jubilatoire la question du genre et invite à une expérience inclassable …
Aux côtés des spectacles en diffusion coexistent des propositions conçues sur mesure pour cette nouvelle édition. Le Plongeoir Cité du Cirque, au Mans, travaille à faire de La Nuit du Cirque un événement de sa saison, l’occasion cette année d’inaugurer leur nouvel équipement et de fêter leur prochaine labellisation. Idem pour l’Onyx, à Saint-Herblain qui organise avec l’ensemble de ses partenaires locaux une Nuit du Cirque qui s’étend sur une large semaine. La Compagnie Les Nouveaux Nez et les Établissements Félix Tampons fêteront leurs 31 années à La Cascade, PNC à Bourg-Saint-Andéol. On célébrera également les 15 ans de la Cie Cirquons Flex avec Le Séchoir, à l’île de La Réunion. L’Envolée Cirque donnera un Bal Circassien, hybride et interactif, à L’Azimut, PNC – Espace chapiteau d’Antony. La Batoude, à Beauvais qui programme habituellement des ateliers de pratique et des formes en espace public, immersives ou participatives, recevra aussi cette année les Vélocimanes Associés et le Cirque du Bout du Monde avec le spectacle Der Lauf, un duo de circassiens belges dont un jongleur coiffé d’un seau part à l’aveuglette dans une série d’expériences inutiles. Beaucoup de vaisselle cassée…
Comment au fil des ans le projet évolue ?
Dephine Poueymidanet : La première édition de la Nuit du Cirque, en 2019, s’est tenue sur l’ensemble du territoire national (dont l’Ile de la Réunion) et à Bruxelles, en Belgique. Dès la seconde édition, les écoles de cirque ont voulu rejoindre l’événement et la manifestation s’est déployée sur 3 jours et 3 nuits. Elle s’est ouverte à l’international. En 3 ans, on est passé d’une à 3 soirées, de 59 structures à 136, de 81 propositions dont 14 créations à 160 dont 25 créations, de 22 200 à 38500 spectateurs, d’un à 11 pays étrangers. Nos partenariats se sont élargis et l’équipe s’est aussi développée. La Nuit du Cirque est de plus en plus identifiée.
Une telle adhésion en si peu de temps est plus que satisfaisante. Nous restons cependant vigilant.e.s à l’évolution de cette manifestation et nous avons dernièrement interrogé collectivement le futur de cet événement : comment, dans la logique de lieu et de territoire, La Nuit du Cirque peut-elle localement prendre forme, comment l’ouvrir à d’autres réseaux, comment ajuster notre communication à de nouveaux enjeux… ? Tout le monde, au sein de Territoires de Cirque, reste mobilisé pour écrire la suite.
Le Cirque se réinvente depuis plusieurs années. Quels sont les enjeux d’une manifestation comme la nuit du cirque ?
Dephine Poueymidanet : Les enjeux locaux de La Nuit du Cirque sont divers et fonction de contextes territoriaux très différents. Le format très ouvert de La Nuit du Cirque permet aux acteurs de s’en emparer comme ils le souhaitent. Certaines structures pluridisciplinaires ont profité de cet événement pour créer un focus et confirmer la place du cirque dans leur saison.
Malgré les porosités bien réelles entre expressions artistiques, l’enjeux global est disciplinaire. La Nuit du cirque s’est confirmée comme un temps de visibilité pour l’ensemble du secteur en France et à l’International : une démonstration par l’exemple qui bénéficie de retombées politiques et médiatiques. Elle demeure un événement collaboratif, un temps de célébration collectif international qui rassemble autour de valeurs communes, des acteurs et des publics très différents. La Nuit du Cirque met en valeur le travail mené par les structures, les équipes artistiques et les territoires, les coopérations. Elle est aussi devenue un outil de renouvellement des publics. Elle constitue également, je l’ai dit, une photographie de la diversité de la création circassienne qui raconte ou racontera au fil des éditions, l’histoire d’un art en mutation permanente, parfaitement perméable aux grandes questions qui font débats sociétaux.
Est-ce important de mettre en lumière le cirque d’aujourd’hui et pourquoi ?
Dephine Poueymidanet : À un moment où l’on interroge l’accessibilité du spectacle vivant, l’ouverture des lieux et leurs relations aux habitants, il est important de montrer que le cirque actuel présente une palette d’esthétiques vaste qui répond à des exigences certaines et qui a su rester très en lien avec les territoires et conserver une proximité évidente avec les publics. Le chapiteau ou les nouvelles structures itinérantes circassiennes constituent également des outils complémentaires de diffusion et de circulation des œuvres.
Alors que le cirque est un secteur qui a su démontrer sa vivacité, sa maturité, les moyens qui lui sont alloués restent encore inversement proportionnels à sa créativité et sa popularité.
Dans le contexte, avec l’augmentation du coût de l’énergie qui fragilise tous les acteurs, il est d’autant plus important de mettre en lumière le cirque d’aujourd’hui.
Que peut-on vous souhaiter ?
Dephine Poueymidanet : En toute simplicité, le meilleur !
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
La nuit du cirque
du 11 au 13 novembre 2022
Crédit portrait © L. Giret
Crédit photos © Antoine Soubigou, © Christophe Raynaud De Lage, © Valérie Frossard, © Aurélie Ruby, © Jean-Pierre Estournet