Ali Bougheraba et Cristos Mitropoulos ont croisé leur destinée grâce à la compagnie Les Carboni, avec le fameux Un de la Canebière, où nous les avons vus œuvrer en tant que comédiens. Ils ont depuis uni leurs talents pour réaliser un petit bijou, Ivo Livi ou le destin d’Yves Montand, qui a reçu le Molière du meilleur spectacle musical en 2017. Ils récidivent aujourd’hui, avec Lady Agatha, un biopic des plus vivants sur Agatha Christie.
Carte sur table
L’action démarre en 1940, en plein Blitz. Les bombes allemandes pleuvent sur Londres, la bataille d’Angleterre a commencé. Cette guerre, que Hitler voulait éclair, avait pour but de démoraliser le peuple britannique. Il avait juste oublié qu’un Anglais, avec tout le flegme qu’on lui connaît, sait résister. Se moquant de la mitraille, Agatha Christie décide d’écrire ses mémoires. Un judicieux procédé dramaturgique nous promène sans problème de sa naissance en 1890 à sa mort en 1976, et nous fait revenir, là où la pièce avait commencé à la Seconde Guerre mondiale. Nous traversons ainsi son histoire personnelle, passionnante, mais également celle de ce XXe siècle, avec ses deux guerres, ses mutations et ses bouleversements.
Le crime est son affaire
Conçu comme un grand livre dont on tourne les pages avec avidité, on suit la vie trépidante et mouvementée de cette petite fille déterminée, qui rêve d’écriture et de noblesse. Elle deviendra la reine du crime et sera anoblie par la Reine Elisabeth II. La scène entre ces deux têtes couronnées est des plus exquises. Les deux auteurs se sont surtout attachés, et c’est en cela que la pièce fonctionne terriblement, à dessiner le portrait d’une femme hors du commun qui a toujours su faire face aux aléas de l’existence et prendre sa vie en main. Ce qui n’était pas si facile à l’époque. C’est une femme libérée qui trace sa destinée avec élégance et déterminisme. Se lancer dans le polar lorsqu’on porte une jupe n’était pas une évidence, tant le genre était considéré comme masculin. Elle le révolutionnera et aura de nombreuses et prestigieuses descendantes.
Le miroir se brisa
La mise en scène est ce qui séduit largement dans ce spectacle. Cristos Mitropoulos s’appuie sur ce théâtre forain, qui inspira tant Ariane Mnouchkine, et ses « enfants du soleil », comme Eric Bouvron (Lawrence d’Arabie, Danlor), Alexis Michalik (Le porteur d’histoire, Edmond), Eric Bu (Lorsque Françoise paraît), Aïda Asgharzadeh et Régis Vallée (Les poupées persanes)… Laissant la place à notre imaginaire, cette manière d’aborder le théâtre ne cesse de nous surprendre. Avec, ce qui semble, trois fois rien, quelques accessoires, des malles, un échafaudage, le metteur en scène fait naître de nombreux univers, un salon, une chambre, un jardin, un avion, un chantier archéologique… Les tableaux s’enchaînent par la magie des acteurs. Dans un ballet fortement bien maîtrisé, changeant à vue les décors, ils font défiler les images de ce livre géant. C’est de toute beauté.
Devinez qui ?
Camille Favre-Bulle avec son petit minois, ses grands yeux malicieux et son immense talent s’est glissé avec une belle aisance en Agatha Christie. Quel que soit l’âge de son personnage, se jouant du temps, sachant montrer les évolutions intérieures, elle est remarquable. Autour d’elle, endossant plusieurs rôles, Tatiana Gousseff, Marie-Aline Thomassin, Matthieu Brugot, Erwan Creignou, Léo Guillaume forment une troupe très solide. La variété de leurs prestations, toujours justement dessinées et incarnées, nous a emballée. Ce spectacle, dans lequel toutes les générations confondues trouvent leur bonheur, procure bien des émerveillements et beaucoup de plaisir. Et ça fait du bien !
Marie-Céline Nivière
Lady Agatha ou la vie incroyable d’Agatha Christie d’Ali Bougheraba et Cristos Mitropoulos.
Théâtre de la Michodière
4 bis rue de la Michodière
75002 Paris
Du 15 mai au 7 juillet 2024.
Durée 1h50.
Théâtre Saint-Georges
51, rue Saint-Georges
75009 Paris.
Jusqu’au 5 mars 2023.
Du mercredi au vendredi à 20h, samedi 19h, dimanche 15h.
Durée 1h50.
Mise en scène de Cristos Mitropoulos.
Assisté de Lison Jouard.
Avec : Camille Favre-Bulle, Tatiana Gousseff, Marie-Aline Thomassin, Matthieu Brugot, Erwan Creignou et Léo Guillaume.
Lumières de Franck Thevenon.
Son d’Adrien Hollocou.
Décor d’Olivier Herbert et Annie Giral.
Costumes de Virginie Breger.
Crédit photos © Fabienne Rappeneau © Cédric Vasnier