Matthieu Cruciani © Jean-Louis Fernandez

Matthieu Cruciani met en scène la jungle urbaine de Koltès

Aux Gémeaux, scène nationale de Sceaux, du 9 au 10 novembre 2022, Matthieu Cruciani présente sa très belle adaptation de La nuit avant les forêts.

Matthieu Cruciani © Jean-Louis Fernandez

Aux Gémeaux, scène nationale de Sceaux, du 9 au 10 novembre 2022, Matthieu Cruciani, co-directeur de la Comédie de Colmar, présente sa très belle adaptation de La nuit avant les forêts. Dans un décor de parking abandonné, il dirige avec justesse Jean-Christophe Folly et donne à entendre puissamment les maux de Koltès. Rencontre. 

Quel est votre premier souvenir d’art vivant ? 
Je n’ai pas une très bonne mémoire… Un Dom Juan à l’opéra de Nancy m’a-t-on dit. Mais je me souviens plus de la salle, du moment que de la scène et de ce qui s’y passait. Et de ce que mon père m’avait proposé de faire mon devoir de maths à ma place pour que je puisse m’y rendre avec ma mère. En tout cas, j’ai d’abord été fasciné par les théâtres comme objets, comme constructions, puis par ce qui pouvait s’y passer. 

La nuit juste avant les forêts de Koltés - Mise en scène de Matthieu Cruciani © Jean-Louis Fernandez

Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ? 
Il n’y a pas eu de déclencheur unique. La première inquiétude, comme pour beaucoup, a déjà été d’y survivre. C’est là que j’ai d’abord mis l’énergie, en autodidacte, étape après étape. Les écoles, les premiers spectacles, les premières mises en scène… Encore aujourd’hui, je vis ce métier comme une chose très fragile. Du provisoire qui dure. Et c’est sans doute ce qui m’y plaît. Donc, pour vous répondre : sans doute le moment où j’ai compris que je pourrais difficilement m’y ennuyer. Ou que je n’aurais plus qu’à ne m’en prendre qu’à moi-même si c’était le cas.

Qu’est ce qui a fait que vous avez choisi d’être comédien et metteur en scène ? 

Plein de mauvaises raisons, j’imagine. À 17 ans… Du désœuvrement sans doute. C’est la manière que j’ai trouvée de participer au monde. C’est le biais que j’ai trouvé à l’époque. De ne pas me laisser bercer et en devenir un pur spectateur, ce qui est peut-être plus mon penchant. Cela peut être très intimidant le monde. Alors participer oui, mais discrètement, en jouant. Pour la mise en scène, ce fut l’amour fou des textes d’abord, maintenant, c’est l’admiration que j’ai pour les actrices et les acteurs. Clairement. A tel point qu’aujourd’hui ma mécanique de désir s’est comme inversée. J’ai d’abord envie de travailler avec telle actrice ou tel acteur, et ensuite, seulement, je cherche le juste projet ou le juste texte. Voilà. Ce sont les gens d’abord. 

Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ? 

Quand j’étais à l’école de Chaillot, Gilles Cohen nous avait mis en scène dans un spectacle sur Pierre Cami que nous avions donné au théâtre de la Tempête. Je n’y avais jamais vraiment repensé avant que vous ne me posiez cette question. Mais un bon souvenir à coup sûr. Celui d’une précarité très noble. D’un banditisme joyeux et plein d’innocence. On ne connaissait rien à rien. On faisait sans doute un peu n’importe quoi, mais avec un sérieux… C’était parfait. 

Votre plus grand coup de cœur scénique ? 
La chambre d’Isabella de Jan Lauwers. Avec Louise Peterhoff. La merveille. 

La Nuit juste avant les forêts de Bernard-Marie Koltès. Mise en scène Matthieu Cruciani. Jean-Christophe Folly. © Jean Louis Fernandez

Quelles sont vos plus belles rencontres ? 
Celles qui ont duré et durent encore. Émilie Capliez, avec qui je dirige maintenant la Comédie de Colmar. Là, on tient une petite rencontre fondatrice, n’est-ce pas. Ensuite, il y a les meilleurs copains, avec qui tout a commencé. Sharif Andoura. Pierre Maillet. Marc Lainé. Ce sont les frères d’art en quelque sorte. Ensuite, on rencontre tant de monde, et on ne peut suivre de vraies relations qu’avec si peu qu’il serait forcément injuste et incomplet de dresser une liste. J’ai eu de vraies rencontres avec des équipes de théâtres. J’adore ça les équipes. Celle de la Comédie de Colmar qui est formidable (best team), celle de la Comédie de Saint Etienne. Des gens m’ont aidé très fort. Daniel Benoin. Arnaud Meunier. Les Lucioles. Sophie Chesnes. Benoit Lambert. Les gens avec qui on travaillait en compagnie : Stéphane Triolet, Florence Verney. Des autrices et auteurs comme Francois Bégaudeau, Pauline Peyrade. Et puis les équipes de création, évidemment. Toutes. Il se passe forcément quelque chose de spécial. Sur ma dernière, La nuit juste avant les forêts, c’était totalement parfait. Nicolas Marie, Marie la Rocca, Carla Pallone, Maelle Dequiedt, Kelig le Bars, Thierry Gontier, Manuel Bertrand, Eve-Anne Joalland. Toute le monde était génial, tout le temps, sur tout, calme, simplement à son affaire. Et puis, bon : Jean Christophe Folly. Jean Christophe Folly, quoi ! En tous les cas, j’aime les amours et les amitiés qui se réalisent dans le travail théâtral. 

En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ? 
Franchement, je cherche. Pas certain d’être vraiment à l’équilibre, d’ailleurs, ni que ce métier m’y aide en quoi que ce soit. C’est simplement dévorant. Le théâtre est essentiel à mon déséquilibre, donc, déséquilibre qui me va très bien visiblement. 

Qu’est-ce qui vous inspire ? 
Qu’est-ce qui m’inquiète, surtout… Beaucoup de choses. Comme tout le monde, je crois, les livres, la colère, la musique, les beautés, les laideurs, la solitude, la nature, celles et ceux que j’aime. Celles et ceux que j’aime un peu moins. La vie, la mort. Globalement, tout ce que je comprends mal et qui m’attire.

De quel ordre est votre rapport à la scène ? 
Fluctuant, comme la lune et les marées. En ce moment, elle me manque beaucoup comme comédien. C’est une vraie surprise. Mais j’ai très envie de jouer. Parfois aussi, tout ce noir m’oppresse, et je voudrais juste aller courir dans la forêt. Sinon et en un mot : sacré. C’est bébête, mais c’est vrai. Et je ne sais pas si c’est une bonne nouvelle ou pas. 

La Nuit juste avant les forêts de Bernard-Marie Koltès. Mise en scène Matthieu Cruciani. Jean-Christophe Folly. © Jean Louis Fernandez

À quel endroit de votre chair, de votre corps, situez-vous votre désir de faire votre métier ? 
Dans mon petit doigt qui m’a dit d’y insister. Je ne suis pas déçu. Plus classiquement, je le situe à l’épiderme. Nettement. Pour le meilleur et le pire. 

Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ? 
La liste est trop longue à établir  Et puis on ne dévoile jamais le nom de ceux qui nous plaisent : ça fait toujours tout capoter.

À quel projet fou aimeriez-vous participer ? 
J’aimerais tant de choses. Je ne sais pas si elles sont folles. Jouer en Italie par exemple. Et en Italien. Mettre en scène aussi en Italie. Travailler sur Musil, Walser, Claude Simon, Ernst Junger. Travailler sur Jaccottet tient. Je vais répondre aussi en tant que directeur : j’aimerais beaucoup agrandir la Comédie de Colmar. Bâtir une seconde salle, plus grande, avec un meilleur accueil pour le public, pour les artistes. C’est un projet un peu fou que nous portons avec nos partenaires, et j’aime y participer. Nous ne sommes pas loin d’y parvenir. Fingers crossed

Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ? 
Christina’s world. Andrew Whyeth.

Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore

La Nuit juste avant les forêts de Bernard-Marie Koltès
Création en octobre 2021 à la Comédie de Colmar
Reprise
les 9 et 10 novembre aux Gémeaux, Scène nationale de Sceaux

Crédit Portrait © Jean-Louis Fernandez
Crédit photos © Jean-Louis Fernandez

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