Toutes voiles dehors, après une année post-covid particulièrement compliquée pour les lieux de culture, Fériel Bakouri retrouve un bon rythme de croisière, qui lui permet de franchir une nouvelle étape pour l’évolution de la scène nationale et de mettre en œuvre son projet à destination des populations cergypontaines et valdoisiennes. Rencontre.
L’ouverture de saison a eu lieu, il y a quelques semaines. S’est-elle bien passée ?
Fériel Bakouri : De manière très festive. Je n’ai pas souhaité faire une ouverture classique, où les habitants, les abonnés, les spectateurs réguliers viennent assister à une grand’messe, où assis, ils écoutent le déroulé de la programmation. Je voulais quelque chose de plus vivant, de plus en adéquation avec l’esprit que j’insuffle depuis 2017 au lieu. J’ai donc avec les équipes de la scène nationale de Cergy-Pontoise et du Val d’Oise organisé une fête artistique orchestrée par Arthur Pérole, à laquelle j’ai convié tous nos fidèles spectateurs ainsi que les très nombreux étudiants de Cergy-Pontoise. L’objectif était de brasser les générations, de faire de ce moment un lieu de communion, de discussion, d’intéresser d’autres publics, différents de ceux qui viennent habituellement. Je crois que nous avons réussi ce pari fou. C’était vraiment un temps suspendu, où jeunes et moins jeunes dansaient ensemble.
La saison 22-23 est particulièrement éclectique. C’est une volonté ?
Fériel Bakouri : Clairement. En tant que scène nationale, cela fait partie de nos missions de mixer les arts, d’aller sur des formes grand public, des classiques mais aussi en parallèle permettre à nos spectateurs de découvrir des artistes émergents, des performances, des objets scéniques et théâtraux qui sortent de l’ordinaire. Je trouve important mais aussi fascinant d’avoir d’un côté Le Roi Lear avec Weber, mis en scène par Lavaudant, et de l’autre, présenter le travail plus intimiste, mais tout aussi percutant de Bouchra Ouizguen, que nous avons accueilli, en partenariat avec le Festival d’Automne à Paris, il y a quelques jours.
Vous évoquez un partenariat avec le FAP…
Fériel Bakouri : Oui. Depuis plusieurs années, nous travaillons ensemble. Pour une scène nationale dans la périphérie lointaine de Paris, ce partenariat est une aubaine qui permet à la fois de donner une visibilité à Points communs, mais aussi de mixer les publics, de permettre des échanges et partages entre différents bassins de population. Avec l’arrivée d’une nouvelle directrice artistique, les liens se sont encore resserrés. Ce qui permet aussi pour nous de soutenir des projets audacieux artistiquement, que seuls nous n’aurions peut-être pas eu l’occasion de pouvoir porter. C’est dans ce cadre que nous proposons Éléphant de Bouchra Ouizguen et t u m u l u s de François Chaignaud et Geoffroy Jourdain. C’est d’autant plus important que Geoffrey est un de nos artistes en résidence.
Depuis votre arrivée, vous avez axé votre projet autour de deux temps forts, Génération (s) et le Festival Arts et Humanités ?
Fériel Bakouri : Ma volonté depuis le début est de faire cohabiter dans un même lieu des formes différentes et de permettre un brassage des générations. L’idée est de réinventer la programmation, d’être à l’écoute du territoire et d’essayer, tant que faire se peut, d’enrayer le repli sur soi qui s’opère dans nos sociétés. À cette fin, nous partons des jeunes, de leur envie, de leur univers, pour leur proposer d’une part des spectacles en lien avec leur desiderata et d’aller ensuite vers des choses qu’ils ne connaissent pas, en faisant le pari que cela va les intéresser. Par ailleurs, je crois à l’importance d’une dimension militante. Il est donc nécessaire de doser, d’interpeler nos publics, de les amener à se dépasser. Ainsi en novembre, pour le premier volet Génération(s), nous proposons Güven, pièce d’actualité imaginée par Marie-Josée Malis, directrice de la Commune à Aubervilliers, qui raconte la découverte du théâtre par un jeune de cité, Nulle part est en endroit, conférence dansée par la krumpeuse Nach et BLKDOG du chorégraphe londonien Botis Seva, dont ce sera les premières dates françaises. Connu dans le monde entier, il n’a encore jamais montré son travail ici. C’est une belle opportunité pour nous, un vrai événement. L’objectif des différents temps forts est d’offrir un autre regard sur le monde, de permettre d’aller à la rencontrer d’autres cultures. À Cergy-Pontoise, plus de 142 nationalités sont représentées. Nous devons en tenir compte dans la programmation, permettre à chacun de rencontrer l’autre.
Justement comment s’ancrer dans le territoire ?
Fériel Bakouri : Depuis deux ans, nous avons mis en place un partenariat avec l’École nationale supérieure d’arts de Paris-Cergy, qui se situe à deux pas du théâtre. Ce qu’ils font est incroyable. Les étudiants vont produire des œuvres autour de notre programmation, que nous exposerons dans nos lieux. Ils vont notamment travailler avec un de nos artistes en résidence Volmir Cordeiro. Je pense que cela va donner quelque chose d’unique, de singulier, de très enrichissant. Après, au fil de la saison, nous proposons des ateliers, des moments festifs où tous peuvent participer. L’an passé nous avions fait venir l’équipe de France de breaking.
Quels sont les grands événements de la saison ?
Fériel Bakouri : Je crois surtout que c’est le dialogue qui se construit d’un spectacle à un autre qui est important, qui fait le lien de ma programmation. Contes & légendes de Pommerat répond à Mes Parents de Mohamed El Khatib. Le Sacrifice de Dada Masilo à Requiem de Béatrice Massin. Le Roi Lear de Lavaudant à Dom Juan mis en scène par David Bobée. 7 minutes de Maëlle Poésy aux Illusions perdues adaptées par Pauline Bayle. L’important était de dépasser les préjugés, la notion d’une culture savante, de spectacles pour adultes, d’un autre pour les jeunes, de bousculer habitudes et certitudes. Je crois sincèrement qu’en faisant le grand écart entre différentes formes, entre classique et contemporain, entre populaire et spectacles plus exigeants, nous sommes en train d’y arriver, de changer un tout petit peu le regard sur le théâtre et sur l’art vivant.
Points communs est aussi un lieu de création …
Fériel Bakouri : Cela fait partie des grands axes que je défends. C’est absolument nécessaire pour soutenir le spectacle vivant, pour être une maison ancrée dans le présent et dans l’avenir. C’est je crois une de nos missions premières. Depuis 2021, nous avons quatre artistes en résidence, la compositrice et flûtiste, Naïssam Jalal, le musicien Geoffroy Jourdain et sa compagnie Les Cris de Paris, Volmir Cordeiro et Émilie Rousset Nous les accompagnons dans les différentes étapes de leurs processus de création, nous les programmons et ils construisent de véritables projets et actions avec les nombreux partenaires du territoire. Il ne faut pas oublier que Points communs est l’unique scène nationale du Val d’Oise.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Points communs
Nouvelle scène nationale
Cergy-Pontoise / Val d’Oise
Crédit portrait © Manon Jaupitre
Crédit photos © Marc Chesneau, © Camilla Greenwell & © Simon Gosselin