Pour le premier programme de saison, le CCN de Nancy joue d’audace et de dissonance virtuose en proposant un diptyque dans l’air du temps, composé d’une pièce de Loïc Touzé, tout en lenteur retenue, et une de Maud Le Pladec, véritable feu d’artifice chorégraphique et visuel.
Dans le cadre de la 19e édition des jardins éphémères, rendez-vous incontournable de l’automne pour les Nancéens, la place Stanislas a mis ses habits de verdure, faisant presque oublier les bâtiments éclairés de rose qui font sa renommée architecturale. Devant l’Opéra national, c’est pourtant l’effervescence des soirs de première. En basquettes, jeans pour les uns, en robe de soirée pour les autres, les spectateurs entrent par flots, curieux de découvrir le premier programme de saison concocté par Petter Jacobsson, directeur artistique depuis 2011 du Ballet de Lorraine. Clairement, ils ne vont pas être déçus. En mettant face à face, le travail, tout en délicatesse, de Loïc Touzé et celui, tout en énergie tendue, de Maud Le Pladec, le chorégraphe d’origine suédois crée le choc et fait briller encore un peu plus haut la virtuosité de la troupe.
Les aspirations languissantes d’une communauté New-Age
Toutes lumières de la salle allumées, un vrombissement sourd se fait entendre. Dans la pénombre du plateau, un à un, alors que le public n’est pas encore tout à fait installé, les 24 danseuses et danseurs du corps de Ballet prennent place sur scène. S’alanguissant les uns sur les autres, ils prennent la pause. Sans que personne ne s’en aperçoive, le spectacle a déjà commencé. Lentement, les corps se meuvent. Délicatement, un bras s’élève vers les cintres, pour mieux lentement retomber, une jambe se tend. Un groupe vient sur le devant la scène, semble planter quelques semis, récolter quelques invisibles céréales. Puis comme traversés par la musique entêtante, tout juste murmurée d’Éric Yvelin, les interprètes se mêlent les uns aux autres, entrent dans une étrange et lancinante transe. En nous plongeant au cœur d’une communauté New-Age nouvelle génération, Loïc Touzé invite à repenser le monde, à prendre le temps, à communier avec la terre, les êtres vivants. Cris d’oiseaux improbables, Fados enivrants, chants choraux rituels, le chorégraphe signe avec No Oco – en creux en portugais – , une éloge de la lenteur et tente en ralentissant le tempo de provoquer un électrochoc, d’initier un changement de paradigme sociétal, écologique. La proposition est audacieuse, déroutante. Elle en laisse plus d’un sur le carreau. Mais, et c’est la grande leçon de cette pièce adagio moderato, elle met en lumière la virtuosité d’une troupe, qui toujours se renouvelle – quatre nouvelles recrues viennent d’intégrer le corps de ballet – , toujours se dépasse.
Comme au cinéma
Après l’entracte, c’est une tout autre ambiance qui attend les spectateurs. Attention, les yeux, Maud Le Pladec fait péter les couleurs, débride les mouvements et propose un shot d’énergie. Utilisant le corps de ballet comme un bloc, elle joue des lignes de fuite, des pas cadencés, des rythmiques électro, des beats techno. Travaillant son écriture et la matière chorégraphique comme un film, la chorégraphe, directrice du CCN d’Orleans, conjugue longs plans séquences survoltés, montages décalés et surimpressions pop acidulées. Comme dans une rave party de fin du monde, les 23 danseuses et danseurs du Ballet de Lorraine se jettent à corps perdu dans une danse transe, très cadencée. Folle énergie, tourbillon sans fin, qui jamais ne s’arrête, Static shot est une pièce qui fait mouche. Tous les mouvements, les gestes sont exécutés avec une précision d’orfèvre. Hyper efficace, la danse de Maud Le Pladec sied parfaitement à la troupe. Ils excellent. Et c’est tellement beau à voir, qu’on aimerait tant que cette folle et contrastée soirée continue jusqu’au bout de la nuit.
Un rêve qui pourrait se voir rogner les ailes dans les mois à venir. En effet, sans concertation, le Conseil régional Grand Est vient d’annoncer une baisse de 10 % des dotations budgétaires en 2023 à plus d’une quarantaine de lieux culturels, dont le Ballet de Lorraine, fragilisant ainsi l’équilibre financier de l’établissement et mettant en péril ses missions pédagogiques, éducatives et artistiques, les conditions et la qualité de travail des équipes, l’excellence de la troupe. Entamées en Auvergne-Rhône-Alpes, ces coupes mettent encore un peu plus en danger la culture, déjà particulièrement affaiblie par la crise de la covid.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Nancy
Programme 1 du Ballet de Lorraine
Opéra national de Nancy
1 Rue Sainte-Catherine
54000 Nancy
jusqu’au 23 octobre 2022
No Oco de Loïc Touzé
Pièce de 50 minutes pour 24 danseuses et danseurs
Chorégraphie de Loïc Touzé assisté d’Anne Lenglet et David Marques
Musique d’Éric Yvelin
Lumières de Caty Olive
Costumes d’Alice Gautier et Martine Augsbourger
Coach vocal de Myriam Djemour
Scénographie de Miranda Kaplan
Static shot de Maud Le Pladec
Pièce de 25 minutes pour 23 danseuses et danseurs
Chorégraphie de Maud Le Pladec assistée de Régis Badel
Musique de Chloé et Pete Harden
Conseil à la diffusion sonore – Vincent Le Meur
Lumière d’Eric Soyer
Création costumes de Christelle Kocher – KOCHÉ assistée de Laure Mahéo
Stagiaire dramaturgie – Baudouin Woehl
crédit photos © Laurent Philippe