L'enfant que j'ai connu, Julien Fisera © Simon Gosselin

Élégie pour une victime de la police

Au Théâtre de la Ville, Julien Fišera met en scène un texte de commande d'Alice Zeniter et met une femme privilégiée à l'épreuve de la violence policière.

L'enfant que j'ai connu, Julien Fisera © Simon Gosselin

Dans la tension entre la normalité et l’exception d’un malheur qui surgit, Anne Rotger se tient là en habile équilibriste, cachée dans un manteau long, le discours, la voix et le visage troublés par une fébrilité affolée. Les traits du personnage se fixent à partir d’un grand flou initial : que nous veut-elle, cette Nathalie Couderc, femme blanche cinquantenaire qui débarque en répétant d’entrée de jeu un très suspect « je ne suis pas raciste » ?

Alice Zeniter prend un malin plaisir à construire, à partir de ces premières pistes brouillées, le portrait-robot d’une classe privilégiée et confortable pour ensuite le découdre à l’épreuve, pour la première fois, de la violence politique. Nathalie porte médiatiquement la mort de son fils Cédric, militant d’extrême-gauche tué par un policier en pleine manif. À la sortie du tribunal, où elle reçoit un non-lieu comme une claque, lui échappe une vérité maladroite — « Je ne savais pas qu’en France, on pouvait tuer des enfants blancs » — à l’origine d’émeutes raciales propagées des quartiers aux centres-villes, qui motivent sa justification bégayante.

Se saisissant avec habileté d’une question qui n’arrête pas de se poser de manière toujours plus scandaleuse, celle des violences policières, la pièce, commandée à Zeniter par le metteur en scène Julien Fišera, ausculte et brusque la bien-pensance bourgeoise au prisme de ce paradoxe : que se passe-t-il lorsque la brutalité institutionnalisée, censée ne toucher que les autres, vient éclabousser les murs de sa propre maison ? L’enfant que j’ai connu décrit par une idée efficace de mise en scène le déboussolement qui s’ensuit — la mère endeuillée, délogée de chez elle par des menaces de mort, est entourée de sacs en papiers, valises de fortune pour une longue errance existentielle. Le trio Zeniter-Fišera-Rotger livre ainsi la critique justement située d’une France où la violence policière frappe au bas de la porte, et étrille l’éloignement confortable de la bourgeoisie vis-à-vis de l’action politique. Tout en dessinant le beau portrait double d’une mère endeuillée et d’un fils qui ne cessera jamais de lui échapper.

Samuel Gleyze-Esteban

L’enfant que j’ai connu d’Alice Zeniter
Théâtre de la Ville – Espace Cardin
1, avenue Gabriel 75008 Paris, France

mise en scène de Julien Fišera
Collaboration artistique de Nicolas Barry
Espace – François Gauthier-Lafaye
Lumières de Jean-Gabriel Valot
Costumes de Benjamin Moreau
Regard chorégraphique de Thierry Thieû Niang
Avec Anne Rotger

Crédit photos © Simon Gosselin

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