Place Colette, sous la direction de Julie Deliquet, le comédien se glisse à nouveau dans la peau de Molière, fait revivre la troupe de l’Illustre Théâtre et invite à une balade au coeur de la création. Entré comme pensionnaire en 2019 au Français, il habite le plateau de sa présence charismatique, de son jeu tellurique.
Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?
Je dirais le football quand j’avais 7 ans : il y avait déjà de beaux artistes sur les terrains à cette époque (rires). Pour rester conventionnel, je crois que c’est un concert des Tambours du Bronx, et pour le théâtre, c’est un cours d’art dramatique à 20 ans ! Je n’étais encore jamais allé au théâtre.
Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ?
C’est peut-être le fait d’être le seul de mes copains de fac à tripler ma première année d’Histoire…
Parallèlement, l’année précédente, poussé par un ami, j’étais allé au cours de théâtre de l’université, mon professeur y avait flatté mon égo et le spectacle de fin d’année avait fait dire à certains de mes proches que « j’avais trouvé mon chemin ». En début d’année suivante, j’ai décidé de l’emprunter.
Qu’est-ce qui a fait que vous avez choisi d’être comédien ?
J’ai l’impression que c’était le plus simple pour moi, une fois que la page football a été tournée. J’avais toujours aimé les mots, la poésie, les beaux textes. Et il nous arrivait d’inventer des happenings avec mes amis. Dans mes petits groupes de copains, je crois que j’étais souvent l’instigateur de nouvelles expériences.
Le théâtre cochait toutes les cases : les mots, l’art, l’action (politique au sens de « relatif à la cité ») les émotions fortes, les voyages (en tournée) , et cela laissait imaginer mille vies différentes.
Et puis, arrivé à l’école de théâtre du TNS, en rencontrant des personnes passionnés et passionnantes, conscient de mes lacunes culturelles, je me suis mis à travailler.
Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ?
Étudiant, j’ai donc participé au spectacle de fin d’année du Crous, une succession de scènes diverses. Je me souviens que Duringer m’avait semblé un cadeau qu’on me faisait, c’était tellement simple, et puis sur Pirandello quelque chose s’était passé : j’ai su plus tard qu’on appelait ça un « lazzi », je me suis retrouvé sans même m’en rendre compte à imiter la course de certains animaux sous les rires du public… Un petit moment de folie qu’on m’a raconté ensuite, car je n’avais pas vraiment eu conscience de ce que je faisais. Et enfin, Victor Hugo m’avait semblé très loin de moi… Aujourd’hui, j’aimerais beaucoup le rejouer.
Votre plus grand coup de cœur scénique ?
La Mouette d‘Arpad Schilling. Un chef d’œuvre absolu.
Quelles sont vos plus belles rencontres ?
Il y en a trop ! Pour ne pas tout dire : Sébastien Pouderoux dès l’école du TNS, artistiquement aussi bien qu’humainement. J’ai eu aussi une très belle aventure à Reims avec Fabien Joubert et les O’Brothers ainsi que Jean-Philippe Vidal : avec eux, le plus important sur le plateau n’était pas le jeu, mais plutôt d’être ensemble. Et puis des gens comme Alain Françon, René Loyon, Michel Wittoz, Éric Ruf, Julie Deliquet… qui, chacun chacun à sa manière, savent rendre les choses de notre art évidentes, font paraître simple ce qui est à jouer, tout en te faisant te sentir responsable des grands enjeux de la pièce. Ce sont des cadeaux reçus. Et puis les très belles personnes et les grands artistes du plateau avec lesquels j’ai joué et j’ai encore la chance de jouer souvent ces temps-ci dans les murs du Français… merci.
En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ?
J’ai toujours eu besoin des mots, de prononcer les mots des autres, même si je changeais de métier demain, je réciterais toujours des poésies ; j’ai aussi besoin de me raconter des histoires, et surtout d’entendre celles des autres. Ensuite, pour être honnête, le mot équilibre commence seulement à faire partie de ma vie depuis cette année, et c’est évidemment grâce à la Comédie-Française, à ses membres, à son cadre et au travail copieux qu’on y fait .
Qu’est-ce qui vous inspire ?
Les autres, leur talent. La jachère aussi, j’aimerais toujours avoir 10 ans pour préparer un spectacle pour amener une matière mûre. Je ne sais pas comment font certains acteurs et certaines actrices pour trouver si vite leurs personnages de manière profonde.
De quel ordre est votre rapport à la scène ?
Assez animal, me dit-on. J’essaie d’apprendre d’autres manières de vivre cet espace et les rapports de jeu… Comme dans la vie bien sûr, car les rapports humains sont en général vécus de la même manière sur le théâtre et à la ville.
J’admire les acteurs pour lesquels parler suffit à faire exister les choses.
À quel endroit de votre chair, de votre corps, situez-vous votre désir de faire votre métier ?
Malgré moi, mon désir de faire ce métier est souvent une recherche de plénitude corporelle (et spirituelle). Je tends à laisser davantage respirer les choses désormais pour apprécier l’incomplétude.
Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?
Hors Comédie-Française : Alex Lutz, Rebecca Zlotowski, Alice Winocour, Hervé Pierre encore, Laure Calamy, Michael Thalheimer, Niels Arestrup… ils et elles sont si nombreux.
À quel projet fou aimeriez-vous participer ?
Un projet de théâtre de rue avec les 26 000 Couverts, une compagnie de théâtre de rue que j’adore, et les acteurs de la Comédie-Française.
Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ?
Jusqu’à aujourd’hui, je dirais l’Atelier du peintre de Courbet… Trop de choses, trop d’envies, trop de degrés de lecture… Ce n’est pas mon tableau préféré. J’espère que la suite sera quelque chose de plus simple : un Chagall ou même un Caravage, une émotion ou une situation et de là, aller tout droit.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Jean-Baptiste, Madeleine, Armande et les autres… de Julie Deliquet, d’après Molière
Comédie-Française – Richelieu
1 place Colette
75001 Paris
reprise du 12 octobre 2022 au 15 janvier 2023
Crédit portrait © Stéphane Lavoué, Coll. Comédie-Française
Crédit photos © Brigitte Enguérand, coll. Comédie-Française