Au centre culturel Jean Gagnant, dans le cadre des Zébrures d’automne 2022, Jeanne Diama et Assitan Tangara créent l’événement, avec leur dernière création commune, Tafé Fanga ?. Se jouant des clichés et des conventions, les deux artistes maliennes libèrent la parole des femmes africaines corsetées dans des traditions séculaires, des us et coutumes patriarcaux d’un au autre temps. Brillant !
Plongée dans la pénombre, la salle bruisse de conversations étouffées, de rires stressés. De dos, éclairées d’un faisceau diffus de lumière, deux silhouettes portant un châle sur la tête apparaissent. Le silence s’impose, les respirations sont retenues, le temps suspendu. Gestes lents, précis, les deux femmes se libèrent de ce voile qui cache leur chevelure. L’une est jeune élancée, l’autre toute en énergie et sourire. Imperceptiblement, comme ranimées, elles entrent dans le grand bal de la vie, retrouvent leur langue, reprennent leur papotage.
Du quotidien naît les interrogations
Discutant à bâtons rompus, l’une évoque son métier, son célibat, tout ce qu’elle doit à la sueur de son front, à son intelligence, et non à son cul. L’autre l’écoute, la soutient dans sa démarche d’émancipation. Le ton se fait plus vif, le phrasé plus rageur. Refusant de céder aux pressions familiales et sociales, elle veut vibre libre, sans mari imposé. Confrontant aspirations de femmes rêvant de sortir des schémas patriarcaux et sociétaux, aux us et coutumes ancrés au plus profond de leur éducation, quatre artistes s’emparent du plateau et questionnent la manière dont les femmes s’emprisonnent elles-mêmes dans des règles ancestrales imaginées par les hommes.
Paroles libératrices
S’appuyant sur ses ressentis, sur sa propre histoire, Jeanne Diama tisse un récit kaléidoscopique qui déferle par vagues de plus en plus intenses sur le plateau. Des remarques sexistes, des sifflements, reçus tels des crachats dans la rue, des injonctions familiales, dont elle se sert comme terreau à sa propre émancipation, elle déchire le voile aveuglant d’un formalisme immémorial, qui veut que le féminin soit forcément assujetti au masculin. Libérant la parole de ces femmes qui laissent faire, acceptent, rêvent de revanche, d’en finir avec les faux-semblants, les sourires de façade, les joies toujours empêchées, les ambitions retenues, l’autrice et comédienne réveille un vent de révolte salvateur, nécessaire et vital.
La rage au cœur
Complice depuis longtemps, Assitan Tangara s’empare avec beaucoup d’habilité du texte de Jeanne Diama. Elle lui donne couleur et fièvre. Passant du burlesque au drame, de la comédie bigarrée à une œuvre ancrée dans un quotidien très réaliste, elle fait vibrer Tafé Fanga ? Le pouvoir du pagne ? d’une dimension humaine singulière, qui touche avec justesse nos émotions, nos cœurs. S’appuyant sur les présences lumineuses aux énergies très différentes des cinq interprètes – Jeanne Diama, Awa Diassana, Niaka Sacko, Tata Tassala Bamouni, Lamine Soumano – , elle offre aux combats des femmes du Mali et d’ailleurs, une tribune vibrante… Bravo !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Limoges
Tafé Fanga ? Le pouvoir du pagne ? de Jeanne Diama
Création en français et en bambara
Les Zébrures d’Automne 2022
CCM Jean Gagnant
7 Av. Jean Gagnant
87000 Limoges
jusqu’au 23 septembre 2022
Durée 1h10
Mise en scène d’Assitan Tangara
Avec Jeanne Diama, Awa Diassana, Niaka Sacko, Tata Tassala Bamouni, Lamine Soumano
Scénographie de Patrick Janvier
Chorégaphe Djibril Ouattara
Conseiller·ière et collaboration artistique Fanny Fait, Moïse Touré
Son et lumière Lamine Gaoussou
crédit photos © Christophe Péan
Bravo à Assitan et surtout courage pour le reste