À La Colline, Anouk Grinberg fait danser la folie, l’invite dans la lumière et lui offre une place de choix, poétique et humaine, au cœur de nos sociétés bien trop aseptisées. Sous le regard perçant et plein de connivence d’Alain Françon, la comédienne brille d’un éclat rare, troublant, virtuose. Tout simplement saisissant d’intelligence ! 

Dans un écrin gris foncé, un rectangle de moquette, clair, légèrement fleuri, rappelant le décor d’Un mois à la Campagne, dernière pièce qui avait réuni, la comédienne et le metteur en scène, délimite l’espace scénique. Dessus quelques instruments de musique, de tailles variées, de toute sorte, quelques objets, un tabouret, des micros, sont disséminés donnant à l’ensemble des airs ouatés d’un studio d’enregistrement. Des coulisses, émerge une silhouette, rappelant celle de Gavroche, de Godot. Peu maquillée, chapeau masquant sa chevelure, Anouk Grinberg reproduit la démarche d’un titi parisien, légère, malicieuse, taquine. 

Des mots pour des maux 

Modulant son timbre si particulier, son phrasé si reconnaissable, pantomimant avec espièglerie, la comédienne gambade, se balade, à travers les mots, les histoires d’autres. S’appuyant sur la musique jouée en direct par son complice et partenaire Nicolas Repac, elle semble comme traversée, habitée par Aloïse Corbaz, Justine Python, Lotte Morin Jego Hestz, Henri Michaud, Babouillec et bien d’autres encore connus ou anonymes. S’effaçant imperceptiblement derrière les personnages qu’elle cite, elle donne vie à leurs émotions, leurs souffrances, leur regard sur une société qui les met à la marge, les enferme, met en lumière leur existence singulière, leur vie oubliée, exclue des normes. 

Folle poésie 

Dirigée avec doigté et délicatesse par Alain Françon, Anouk Grinberg s’amuse, prend son pied, fait sienne cette partition kaléidoscopique qu’elle a elle-même adaptée. Sensuelle, goguenarde, charnelle, gouailleuse, elle est toutes ces femmes, ces hommes épris de liberté, qui n’ont pas su, pas pu, pas voulu entrer dans des cases, qui ont refusé les carcans d’une société qui aime l’ordre, la normalité, honnie la différence. Engagée, possédée, virtuose, la comédienne invite ces fous, ces déments, ces aliénés, dans la lumière. Elle leur invente un statut, une existence, une humanité qui touche au cœur, à l’âme, à l’imperceptible inconscient. 

Avec Et pourquoi moi, je dois parler comme toi ?, le trio Anouk Grinberg, Alain Françon et Nicolas Repac poétisent la folie, tutoient les muses et les anges, et invitent à une balade aliénante et vibrante dont on ne sort pas indemne.

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore 

Et pourquoi moi, je dois parler comme toi ? spectacle imaginé par Anouk Grinberg
d’après Et pourquoi moi je dois parler comme toi ? écrits bruts (et non bruts) réunis par Anouk Grinberg, Éditions Le Passeur, 2020
Petit Théâtre
La Colline – Théâtre national
Rue Malte-Brun
75020 Paris
jusqu’au au 20 octobre 2022
Mardi à 19h, du mercredi au samedi à 20h et dimanche à 16h
durée 1h10

mise en scène d’Alain Françon assisté de Tristan Michel de la Jeune troupe de La Colline
avec Anouk Grinberg et Nicolas Repac
textes Babouillec, Franco Beltrametti, Aloïse Corbaz, Samuel Daiber, Emily Dickinson, Hernst Herbeck, Jacqueline, Henri Michaux, Lotte Morin Jego Hestz, Jules Pages, Marguerite de Pillonel, Justine Python, Romain, Jeanne Tripier, Robert Walser, Adolf Wölfli et des anonymes
musique de Nicolas Repac
son de Gilles Olivesi
lumières de Joël Hourbeigt
scénographie de Jacques Gabel
costumes d’Avril Bénard
collaboration chorégraphique – Caroline Marcadé
assistanat à la mise en scène Tristan Michel de la Jeune troupe de La Colline

Crédit photos © Tuong-Vi Nguyen