C’est l’automne. Le sol est jonché de feuilles jaunes, ocres, oranges. Au centre de la scène, un immense banc de bois et de fer, typique des lieux publics, sert d’unique décor. Deux femmes, une mère (extraordinaire Virginie Colmyn) et sa fille (évanescente Cécile Coustillac), viennent troubler le calme de ce lieu, paisible, un cimetière peut-être. Toutes à leur retrouvaille, elles semblent heureuses. Entre souvenirs et nouvelles, elles se laissent porter par une douce euphorie, presque factice tant elle paraît un brin surjouée. Derrière les sourires, une joie communicative, quelques reproches mal retenus, quelques piques difficilement rentrées, craquellent la belle entente, le beau tableau. Mais l’heure n’est pas au règlement de compte, seul le plaisir de revoir bientôt, le fils de l’une, le frère de l’autre, accapare leurs pensées.
Une humanité fracassée
Convoquant au plateau, veuves, orphelins, mères étouffantes, enfants distants, couples divorcés, séparés, amours infructueuses et infécondes, Arne Lygre plonge au cœur des distensions sociales, des rapports chaotiques entre les êtres humains. Contrairement à ces autres œuvres, le dramaturge norvégien, certainement marqué par la crise sanitaire qui a rompu les liens entre les hommes, adoucit sa plume, lui insuffle poésie, rédemption et espérance. La solitude n’est plus une fatalité. L’absence un vide insondable. L’amitié un bouche-trou de circonstance. De cette matière toujours aussi concise, aussi avare de rondeur, Stéphane Braunschweig s’en empare avec bonheur, presque gaîté. Son sourire très primesautier, lors des saluts, en dit long, sur l’importance que révèle pour lui, d’avoir réussi son pari de monter, cette pièce sur le grand plateau de l’Odéon.
Une troupe tout en émotion contrastée
Donner vie aux mots d’Arne Lygre est une gageure. Son écriture sensible, millimétrée, demande une précision de tous les instants. Menés par Virginie Colemyn, qui passe avec une virtuosité sidérante du surjeu qui met en exergue la fausseté des rapports humains – à l’émotion pure, les sept autres comédiens, des fidèles de Braunschweig, – Cécile Coustillac, Alexandre Pallu, Pierric Plathier, Lamya Regragui Muzio, Chloé Réjon, Grégoire Tachnakian et Jean-Philippe Vidal – habitent l’espace, le teinte de tendresse, d’émoi et d’un humour mâtiné de mélancolie.
Cherchant encore son rythme en ce soir de première, Jours de joie offre des moments plein de grâce. La reprise a capella de Bad Romance de Lady Gaga est certainement l’un d’entre-eux. Quittant l’ombre, les sombres et lucides pensées de l’auteur, l’adaptation enlevée et ciselée du directeur de l’Odéon en ouverture de saison est de bel augure. L’arrivée du dernier Tiago Rodrigues, Dans la mesure de l’impossible, aux ateliers Berthier, dans quelques jours, une bien jolie confirmation.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Jours de joie d’Arne Lygre
Odéon – Ateliers Berthier
1, rue André Suares
75017 Paris.
Du 20 avril au 5 mai 2024.
Durée 2h20 environ.
Odéon – Théâtre de l’europe
Place de l’Odéon
75006 Paris
Jusqu’au 14 octobre 2022.
Tournée
25 novembre 2022 au Festival Interférences de Cluj, Roumanie
les 11 et 12 janvier 2023 au CDN de Besançon
mise en scéne et scénographie de Stéphane Braunschweig assisté de Clémentine Vignais
avec Virginie Colemyn, Cécile Coustillac, Alexandre Pallu, Pierric Plathier, Lamya Regragui Muzio, Chloé Réjon, Grégoire Tachnakian, Jean-Philippe Vidal
traduction française de Stéphane Braunschweig & Astrid Schenka
collaboration artistique – Anne-Françoise Benhamou
collaboration à la scénographie – Alexandre de Dardel
costumes de Thibault Vancraenenbroeck
lumière de Marion Hewlett
son de Xavier Jacquot
Crédit photos © Simon Gosselin