Vania/Vania ou le démon de la destruction ouvre la saison du Théâtre de la Tempête. Par ce spectacle dense, à la fois déroutant et surprenant, Clément Poirée propose de découvrir les deux versions du chef-d’œuvre d’Anton Tchekhov.
En 1889, Anton Tchekhov signe une pièce intitulée, selon les traductions, Le Génie des bois, L’Homme des bois ou Le sauvage. Huit ans plus tard, il reprend le texte, les personnages, et écrit Oncle Vania. Si certains passages sont identiques, un glissement se produit entre les deux versions, une sorte de déplacement subtil qui marque les changements profonds qui s’opèrent chez l’auteur. La première version est optimiste, la seconde plus sombre, plus tchekhovienne. Le désenchantement fait son œuvre.
Célébration des pouvoirs de l’imagination
Confronter les deux textes relève de la bonne idée. Comme il n’était pas question de jouer l’une à la suite de l’autre, Moustafa Benaïbout, Louise Coldefy et Clément Poirée ont choisi de se concentrer sur les passages où les versions divergent. Mais comment le faire sans tomber dans le didactique ? S’interrogeant sur le principe de création, ils ont imaginé un couple d’auteurs (Moustafa Benaïbout et Louise Coldefy), qui ont cinq jours pour écrire un scénario. Enfermés dans une maison de campagne familiale en bois, clin d’œil à l’isba, ils vont débattre de l’histoire et des personnages qu’ils inventent. Comment ces derniers vont-ils évoluer dans l’intrigue ? Ils confrontent alors leur vision des choses. En ressortent des trouvailles assez cocasses sur les époques et les lieux où ils veulent inscrire leur récit.
Ce canevas installé, nous voyons alors les deux versions de Tchekhov s’affronter. Ce jeu des différences révèle les changements d’humeur mais aussi de style du dramaturge russe. La seule chose qui semble être permanente est ce discours écologique, avec une vision du développement durable très en avance sur son époque. Le montage est très bien réalisé. On ne se perd pas trop. La pièce réussit même, en condensant certains personnages subalternes, à faire ressentir l’ambiance qui régnait au domaine.
Les variations de l’âme slave
Reconnaissons qu’en ce soir de première, le spectacle n’avait pas encore trouvé sa cadence. Il est certain que quelques représentations y remédieront. Mais il reste que cela paraît long ! « Normal, c’est russe », allez-vous dire ! Ce n’est pas tant une question de durée mais de rythme. Le théâtre de Tchekhov, et Christian Benedetti l’a assez bien démontré, peut-être énergique. Comme l’est cette fameuse âme slave, avec ses envolées émotionnelles. Langueur ne veut pas dire lenteur ! Ici, le magnifique monologue de Sonia qui clôt Oncle Vania perd de sa puissance et de sa force.
Dirigés de mains de maître par Clément Poirée, John Arnold (Alexandre), Louise Coldefy (Elena), Thibault Lacroix (Vania), Matthieu Marie (Michaël), Elsa Guedj (Sonia), Emmanuelle Ramu (Maria), Moustafa Benaïbout (Fredo), Tadié Tuéné (Gaufrette) sont formidables dans ce tourbillon scénique. On ne va pas cacher notre admiration pour les subtilités et la maîtrise des ruptures de Louise Coldefy. Le charisme de Matthieu Marie rend évident que le véritable héros des deux versions demeure le médecin, ce double de Tchekhov. Et si l’on sort un peu sonné, on ne peut que saluer la performance des artistes.
Marie-Céline Nivière
Vania/Vania ou le démon de la destruction d’après Anton Tchekhov.
Cartoucherie – Théâtre de la Tempête
Route du Champs de Manœuvre
75012 Paris.
Du 15 septembre au 23 octobre 2022.
Du mardi au samedi à 20h, dimanche 16h.
Durée 2h40.
Adaptation et montage de Moustafa Benaïbout, Louise Coldefy, Clément Poirée.
Mise en scène de Clément Poirée.
Avec John Arnold, Moustafa Benaïbout, Louise Coldefy, Elsa Guedj, Thibault Lacroix, Matthieu Marie, Emmanuelle Ramu, Tadié Tuéné
Collaboration artistique de Pauline Labib-Lamour.
Scénographie d’Erwan Creff, assisté de Caroline Aouin.
Lumières de Guillaume Tesson assisté d’Edith Biscaro.
Costumes d’Hanna Sjödin, assistée de Camille Lamy.
Musique et son de Stéphanie Gibert.
Crédit photos © Fanchon Bibille.