Après avoir cartonnée cet été à Avignon, L’Invention de nos vies, pièce adaptée du roman éponyme de Karine Tuil, s’installe pour l’automne et l’hiver au Théâtre Rive Gauche. Porté par la mise en scène très punchy de Johanna Boyé, le jeu tout en nerf et énergie de Valentin de Carbonnières fait de ce thriller haletant, l’une des belles propositions théâtrales de la rentrée.
Play boy du barreau de New York, d’origine française, Sam Tahar (époustouflant Valentin de Carbonnières) est ce qu’on appelle un modèle de réussite sociale. Il incarne à lui tout seul, une « success story » à l’américaine. Tout lui réussit. Brillant et très médiatique avocat, un requin comme on dit, il ne perd jamais un procès. Sa vie privée est digne d’un roman photo. Sa femme (lumineuse Élisabeth Ventura), fille unique d’un très riche financier juif, lui a donné deux merveilleux enfants. La vie est belle, somptueuse. Tout serait idyllique, parfait, si tout ne reposait pas sur une imposture, une usurpation d’identité.
Trop beau pour être vrai
Bien sûr, Sam est un charmeur, un tombeur de ces dames. Brun ténébreux au physique de rêve et au bagout irrésistible, il enchaîne les maîtresses. Quelques accros au contrat, pas de quoi en faire un drame, tant qu’il respecte le shabbat et fait attention aux apparences. Mais voilà, ces péchés véniels ne sont finalement qu’arbres cachant la forêt. Le vrai scandale, le terrible secret est ailleurs. Né du mauvais côté de la barrière, il a dû se battre comme un beau diable pour s’extirper de la cité où il a grandi, pour effacer ses origines maghrébines. N’essuyant que des refus, il a fini par a emprunté à son meilleur ami, prénom- et origines juives. Samir est devenu Samuel. Laissant le passé derrière, la rage au ventre et l’ambition comme moteur, il s’est inventé, ailleurs, de l’autre côté de l’atlantique, une autre vie.
La machine déraille
Trop sûr de lui, se croyant à l’abri, Sam se laisse porter par le succès, la gloire et la fortune. Un portrait de lui paru dans la presse va tout faire vaciller. Le vrai Sam, s’apercevant de la supercherie, réclame des comptes. Son amour de jeunesse, la belle Nina, refait surface et ravive la flamme passionnelle des premiers émois. Son demi-frère, un petit délinquant toujours en galère, va le faire chanter. Alors que son monde, rongé par le mensonge, est prêt à s’écrouler, que son existence ne tient qu’à un fil, peut-il encore faire entendre la vérité ?
Une épopée palpitante
En s’emparant du thriller haletant de Karine Tuil, Johanna Boyé, et sa complice Leslie Menahem, signe une adaptation vive, qui enchaîne à un rythme frénétique les séquences. Construit à la manière d’un feuilleton, L’Invention de nos vies entraîne le public au plus près des arcanes du mensonges. Il peut presque en toucher l’angoissante vérité. Avec limpidité et maestria, la metteuse en scène fait une nouvelle fois des miracles, touche juste et bien. Porté par une troupe virtuose – Mathieu Alexandre, Yannis Baraban, Nassima Benchicou, Brigitte Guedj, Kevin Rouxel & Élisabeth Ventura – , qui n’hésite pas , à l’instar de leur meneur, Valentin de Carbonnières, juste excellent, à mouiller la chemise, le roman prend énergiquement vie sur scène. Mais derrière l’épopée de ce golden boy au bord du précipice, une autre réalité fait jour, celle de nos sociétés contemporaines, toujours autant pétries de préjugés et d’a prioris. La lutte des classes, celle contre le racisme et la discrimination ont encore de beaux jours devant elles.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
L’invention de nos vies d’après le roman de Karine TUIL (Éditions Grasset)
Théâtre Rive Gauche
6, rue de la Gaîté
75014 Paris
à partir du 15 septembre 2022
Du mardi au samedi à 21h – Les dimanches à 15h
durée 1h30
Adaptation Johanna Boyé et Leslie Menahem
Mise en scène Johanna Boyé
Avec Valentin de Carbonnières, Mathieu Alexandre, Yannis Baraban, Nassima Benchicou, Brigitte Guedj, Kevin Rouxel & Elisabeth Ventura
Crédit photos © Fabienne Rappeneau