Damien Dutrait © DR

À deux, on est moins seul – une ode au partage signée Damien Dutrait 

Avant de présenter au théâtre de Verdure-Jardin Shakespeare lors d'une lecture théâtralisée sa dernière pièce, le Lac, Damien Dutrait livre dans une courte nouvelle son regard sur ce qu'est pour lui l'inspiration.

Damien Dutrait © DR

Auteur de Patinage qui s’est joué l’an dernier à la Tempête et du Lac, dont des extraits seront lus mercredi au Théâtre de Verdure-Jardin Shakespeare par Natacha Régnier et Jean baptiste Anoumon, Damien Dutrait livre dans un courte nouvelle sa manière d’aborder l’écriture. une oeuvre inspirée par l’écoute de la B.O. du film, 20 000 lieues sous les mers, composée par Paul J. Smith.

Dans les classes où j’interviens, je pose la question : « Comment on écrit une pièce de théâtre ? ». Réponse presqu’unanime : « Il faut avoir des idées ! » Et immédiatement après : « Comment vous les trouvez, vous, les idées ? » On m’a même demandé où est-ce que « je les achetais. » 

Les idées tout le monde en a. Plein, beaucoup, trop. Même celles et ceux qui disent l’inverse. C’est comme les gens qui disent ne pas rêver : ils et elles rêvent, mais ils ne s’en souviennent pas. 

Un jour, Alfred Hitchcock est en mal d’inspiration. Il en parle à son psy. Conseil de ce dernier : placer un petit carnet près de son lit. Alfred s’exécute et s’endort. Dans la nuit, il sursaute : une image, un flash ! Il bondit et écrit frénétiquement, puis retombe dans le sommeil. Au réveil, il se jette sur les mots de la nuit, avide de découvrir l’inspiration miraculeuse : « Un homme aime une femme ». Déception. 

Les idées c’est comme les poissons. De toutes les tailles et de toutes les couleurs. Elles nagent en banc, elles se ressemblent, petites, simples, banales, ce sont les mêmes partout. Il y a aussi de grosses idées mastodontes, majestueuses, nageant élégamment, et d’autres qui s’échouent lamentablement. Certaines s’éclairent ou gonflent comme des baudruches. Certaines se font manger toutes crues, certaines sont dangereuses et toxiques. Petites ou grandes, les idées sont de drôles d’animaux, et souvent, elles vous glissent entre les doigts. 

Et puis, il y a les monstres marins, nageant dans les profondeurs — des ombres — qui, parfois, remontent à la surface, laissant apercevoir un reflet d’écailles ou une nageoire. 

On le cherche, le monstre, on le traque, le Moby Dick, le calmar géant aux huit tentacules. On ne veut pas se contenter d’une sardine, ou d’un maquereau, pêché au milieu d’un banc de milliers d’individus identiques. Mais même un tout petit poisson, si vous apprenez à le préparer, à le cuire et à l’assaisonner de poivre, piment, ail (ou les trois), ou d’une sauce façon-façon, vous avez des chances de régaler vos convives.

Écrire seul versus écrire pour l’autre. 

Tout seul, ça semble à priori plus simple : je pars à la pêche seul et à ma convenance. J’écris ce que je veux quand je veux, voire même, je n’écris rien du tout. Quand je bloque, je vais marcher (« Les pensées en marchant sont faites à moitié de ciel. » Virginia Woolf)
Les processus d’écriture sont complexes et multiples, c’est un fait. Il faut plonger en soi-même. Le monstre marin, c’est moi. Je suis mon propre Pinocchio dans le ventre de ma propre baleine. Je m’avale avant de me cracher-vomir-régurgiter. Conscient, inconscient, vu, vécu, entendu, vérités et mensonges, et, parfois, quelque magie venue d’ailleurs, tout est nourriture. Quelle liberté́ ! 

Mais l’immense liberté́ de l’écrivant ou de l’écrivante – je dis aux enfants : vous possédez une richesse inépuisable et gratuite : votre imagination – la liberté́, donc, s’arrête là où le point final se pose. Particulièrement pour une pièce de théâtre. Qui va la lire ? Qui va la monter ? Qui va la jouer ? Qui va la produire ou l’éditer ? 

D’un autre côté, face à la commande, l’esprit panique. 

S’il vous plait. Dessine-moi un mouton. 

Facile ! Pourtant, le mouton proposé ne va jamais : 

Alors j’ai dessiné.
Il regarda attentivement, puis :
– Non ! Celui-là̀ est déjà̀ très malade. Fais-en un autre.
Je dessinai :
Mon ami sourit gentiment, avec indulgence :
– Tu vois bien… ce n’est pas un mouton, c’est un bélier. Il a des cornes…
Je refis donc encore mon dessin :
Mais il fut refusé, comme les précédents :
– Celui-là̀ est trop vieux. Je veux un mouton qui vive longtemps. (Le petit prince 
– Saint-Exupéry) 

La « commande » est toujours différente. Aussi diverse et complexe que celui ou celle qui la passe. On ne devrait pas utiliser le mot commande, d’ailleurs, mais plutôt celui de demande, ou même, proposition d’écriture. En anglais, une demande en mariage se dit : proposal. « Est-ce que tu veux… ? Tu as le droit de dire non mais j’aimerais bien que tu dises oui. » 

Chaque proposant.te transporte ses bagages, ses rêves et ses monstres. À l’auteur ou l’autrice de jouer avec. Et quand la rencontre a lieu, quand les saveurs s’accordent, quand les formes et les tentacules s’emmêlent, c’est une jouissance folle. 

Il me semble que si, au départ, un auteur ou autrice écrit seul.e, c’est toujours en s’adressant à au moins une personne quelque part. Erri de Luca raconte que les gens le remercient souvent de les « faire voyager ». À quoi il répond : « C’est vous qui m’emmenez avec vous. Dans votre lit, dans le métro, en vacances. » 

Quand il y a des contraintes, on cherche la liberté́, quand on a trop de libertés, on se pose des contraintes. Seul avec moi-même je n’écris pas toujours ce que je veux. Face à l’autre je ne réponds pas forcément à la demande. 

Comment établir un dialogue réussi avec qui me lit ou m’écoute. Je te parle de mes fonds marins, de mes abysses. Avons-nous des montres en communs ? 

Metteurs, metteuses, comédiens.diennes, directeur.ices de lieux et de structures, éditeur.ices, engageons-nous toujours plus dans les compagnonnages, associations et collaborations. L’écriture vivante fraye avec la littérature, l’histoire, la musique, la peinture, le cirque, la danse… Multiplions les échanges et les propositions ! Partons pécher ensemble. Accordons nos monstres. 

Ecrire seul (m’)est nécessaire, écrire avec (m’)est vital. 

Damien Dutrait – août 2022

Le Lac de Damien Dutrait
Théâtre de Verdure-Jardin Shakespeare
Allée de la reine Marguerite
Route de Suresnes
75016 Paris
le 7 septembre 2022 à 19h
durée 40 min

Lu par Jean baptiste Anoumon, Damien Dutrait et Natacha Regnier
Mise en voix Vincent Debost 

Crédit photos © DR

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