Après deux ans de travaux et de rénovation, la Villa Bernasconi, sur les hauteurs de Lagny, en partenariat avec le Festival La Bâtie, invite à rencontrer deux artistes performateurs hétéroclites et singuliers. D’un côté, dans le parc, en contre bas, au bord de l’Aire, la chorégraphe ukrainienne, basée en France, Olga Dukhovnaya, propose une relecture en solo du lac des Cygnes à l’once de ce que représente le ballet de Tchaïkovski pour les Russes et les membres de l’ex-URSS. De l’autre, le circassien suisse Julian Vogel joue avec virtuosité du diabolo dans une sorte de danse solitaire impliquant à corps défendant le public.
S’affranchissant des règles du ballet classique, Olga Dukhovnaya, sorte de cygne noir, plein de fougue, de fureur, se débat pour sortir des doctrines, des censures, des carcans qu’imposent depuis des décennies le pouvoir du Kremlin, pour s’extraire jusqu’à l’épuisement du corps d’une écriture chorégraphique codifiée depuis près de 150 ans. Déconstruisant de l’intérieur l’emblématique Lac des Cygnes, en réinventant les contours dans une grammaire résolument contemporaine, elle signe un spectacle déroutant, particulièrement intrigant tant sa gestuelle semble incertaine. Le choix de l’œuvre n’est pas fortuit, comme elle l’explique en fin de spectacle, « depuis la chute de Gorbatchev – mort à 91 ans, il y a trois jours – , la télévision nationale diffuse le ballet de Tchaïkovski à chaque fois qu’il y a un événement d’actualité trop brûlant. » Alors que la guerre fait rage dans son pays natal, ce Swan Lake solo sonne comme un cri de révolte, une ode à la liberté.
Un peu plus tard, dans les sous-sols de la Villa, Julian Vogel attend patiemment les festivaliers. Faisant tournoyer, dans la plus grande décontraction, devant lui un diabolo de porcelaine, il sourit à chacun, salue de la tête. Une fois, tout le monde installé dans un carré signalé au sol par des bandes blanches, la pièce sombre dans l’obscurité la plus totale. Un grand fracas, le choc de l’instrument de jonglerie contre le sol, résonne, rappelant finalement la fragilité de l’existence. Imperceptiblement, une lumière diffuse éclaire la salle basse. Inspectant les lieux, les objets posés au sol, le circassien fait abstraction du public. Il tourne, virevolte, imposant à chacun de rentrer dans le rang, dans l’espace qui lui est dévolu. Construit comme une partition, une installation performative vivante, où l’artiste joue avec le public, s’amuse à le contraindre, à lui impose son rythme, sa volonté, China Series se vit, se ressent, s’écoute et s’observe. De fêlures en cassures, de tintements en vacarmes, Julian Vogel convie, à travers un geste précis, ciselé, les spectateurs au plus près de la vie éphémère de ses diabolos de porcelaine. Pour ancrer en chacun, une part de cette étrange transe, ce rituel sacrificiel, l’artiste Circassien, musicien et plasticien décline sa proposition en un temps d’exposition. L’effet est étrange, mais lentement l’étonnement fait place à un enchantement. La sensation d’avoir assisté à quelque chose de rare, de fugace, d’insaisissable, se fait jour. Bravo l’artiste !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore Envoyé spécial à Genève
Une soirée à la Villa Bernasconi
Festival La Bâtie
Villa Bernasconi
Route du Grand-Lancy 8
1212 Lancy – Suisse
Jusqu’au 2 septembre 2022
Durée 150 minutes environs
Swan Lake solo d’Olga Dukhovnaya
Chorégraphie d’Olga Dukhovnaya d’après une libre interprétation du Ballet de Tchaikovsky
Partition chorégraphique d’Olga Dukhovnaya & Alexis Hedouin
Partition sonore d’Anton Svetlichny
Partition lumière et costume de Guillaume Jouin & Marion Regnier
Regard extérieur – François Maurisse
China Series de Julian Vogel
Création et interprétation de Julian Vogel
Regard extérieur – Roman Müller
Scénographie et direction technique de Savino Caruso
Technique en tournée – Orpheo Carcano, Roman Müller, Noémie Hajosi
Design graphique – Laurence Felber
Photo et vidéo – Savino Caruso, Phillippe Deutsch, Eleonora Camizzi, Tilman Pfäfflin
Textes et traduction de Cyrille Roussial, Julian Vogel
Crédit photos © Kenza Wadimoff