Matthieu Dessertine © Chloé Signès

Matthieu Dessertine, artiste enraciné

Depuis sept ans, le collectif Pampa se retrouve tous les étés entre la Gironde et la Dordogne, près de Sainte-Foy-la-Grande, pour animer le festival éponyme, qui se tiendra cette année du 19 au 29 août. En plein préparatifs, Matthieu Dessertine, directeur artistique et co-créateur de la manifestation, évoque avec nous sa genèse, le passage de l'école aux champs, et l'avenir de ce hameau de théâtre.

Matthieu Dessertine © Chloé Signès

Depuis sept ans, le collectif Pampa se retrouve tous les étés entre la Gironde et la Dordogne, près de Sainte-Foy-la-Grande, pour animer le festival éponyme, qui se tiendra cette année du 19 au 29 août. En plein préparatifs, Matthieu Dessertine, directeur artistique et co-créateur de la manifestation, évoque avec nous sa genèse, le passage de l’école aux champs, et l’avenir de ce hameau de théâtre.

Lorsque nous appelons Matthieu Dessertine, la résidence de création, commencée le premier août, arrive à son mitan. Aménagement du lieu, construction des décors, montage des praticables : à Port-Sainte-Foy-et-Ponchapt, au milieu des répétitions, tout le monde fait un peu tout. Cette année, les douze artistes du collectif Pampa présenteront trois créations — des textes de Sophocle, des Grimm, de Dennis Kelly. S’y ajouteront la reprise de L’Ours de Tchékhov, succès de l’année passée, un spectacle d’artistes en voie de professionnalisation ainsi que les pièces de deux compagnies invitées (Guten Tag, Madame Merkel d’Anna Fournier et Je m’en vais mais l’état demeure d’Hugues Duchêne). En 2015, le jeune artiste révélé par Olivier Py, notamment dans Orlando ou l’impatience, et ses partenaires de création, à peine la vingtaine et fraîchement sortis du Conservatoire national supérieur d’art dramatique (CNSAD), plantaient Pampa sur cette terre vierge de théâtre. Sept ans plus tard, la troupe récolte les fruits d’un travail acharné et parvient à voir les augures de transformations à venir.

Comment le festival est-il né, et comment l’avez-vous pensé, à l’origine ?

Matthieu Dessertine : Au départ, nous étions trois, tout juste sortis du conservatoire. J’écrivais des pièces que nous voulions monter ensemble. Nous avons commencé à faire nos tournées par ici, en Gironde, parce que l’un d’entre nous, Anthony Boullonnois, était originaire du coin. Au début, nous jouions dans des bars et des restaurants, en itinérance. Puis nous avons commencé à vouloir monter nos spectacles et trouver des lieux capables de nous accueillir, sans encore avoir l’idée d’un festival. Au fur et à mesure des années, d’autres artistes nous sont suivis, essentiellement issus du Conservatoire national, mais aussi de l’ESAD, de l’ENSATT et du TNS. Nous sommes restés en itinérance pendant un ou deux ans avant de trouver ce lieu, où nous essayons désormais de pérenniser cet événement annuel. Nous avons vite compris que l’offre de spectacle vivant n’était pas très grande autour de nous. Il a fallu gagner la confiance des personnes résidant dans la région, faire comprendre que nous ne descendions pas de Paris pour leur inculquer quoi que ce soit, mais que nous voulions créer ce festival avec eux, en questionnant notre apprentissage au sortir des écoles nationales et en revenant à une forme non pas de précarité, mais de simplicité. Du choix des textes à la conception des décors et des costumes, nous sommes artisans de nos spectacles de A à Z. Même s’il y a des metteurs et des metteuses en scène attitrés, les créations sont collectives.

Dans les brochures du festival, vous évoquez l’idée de « faire du théâtre autrement ». Qu’est-ce que cela représente pour vous ?

Matthieu Dessertine : Cela touche à autre chose que le simple temps de la représentation. Nous avons réussi à faire de ce lieu un endroit de rapprochement où les gens se retrouvent pour assister à des spectacles et en discuter. Nous avons des spectateurs qui deviennent, s’ils le souhaitent, un peu bénévoles, en nous aidant à tracter où à afficher, par exemple. Cette espèce de fête collective dépasse les frontières qui nous entourent en tant qu’artistes en création. Le festival existe certes en été, mais nous restons en lien toute l’année avec les gens du territoire.

Ces conditions, cette méthode déterminent des choix artistiques. À l’arrivée, à quoi ressemblent les spectacles que vous présentez ?

Matthieu Dessertine : Nous essayons d’être les plus éclectiques possible. Nous nous sommes toujours dit que toutes les contraintes étaient envisageables. Nous avons fait des spectacles très contraignants en termes de technique, et d’autres purement de tréteaux. Des choses contemporaines et classiques. Nous ne nous sommes jamais dit que nous voulions une ligne directrice claire et c’est un moteur pour nous. Cela nous permet de nous laisser orienter par les retours des spectateurs et par les désirs des équipes artistiques. Cette année, je vais monter une pièce de Sophocle, mais il y a à côté de cela un Dennis Kelly. Aujourd’hui, nous avons une envie, qui est de revenir à nos fondamentaux, c’est-à-dire l’écriture de plateau. Nous voulons continuer à jouer ces grands auteurs, mais nous avons envie d’avoir du temps de résidence en plus pour créer et écrire nos spectacles. Nous avons la chance d’être de plus en plus soutenus — par la DRAC, la Région, le Département. Notre première ambition à moyen terme est donc d’obtenir un lieu « en dur » et d’y construire un théâtre qui permettra de répéter toute l’année, d’héberger des compagnies en résidence, d’accueillir des ateliers d’auteurs ou des résidences d’écriture. Par ailleurs, nous venons de finir la première partie de la tournée de notre spectacle La vie de Galilée aux Nuits de l’Enclave, à Valréas. Gilbert Barba, qui codirige le festival, a créé sur place un « centre dramatique des villages » qui s’étend sur près de trente communes. En lien avec lui, nous aimerions en fonder un ici. Ce centre dramatique ouvert permettrait d’accueillir des compagnies sur différentes communes autour d’un pôle d’organisation unique.

Le festival revendique une fonction de pépinière. Comment cela se construit-il ?

Matthieu Dessertine : Depuis trois éditions, nous proposons aux bénévoles de créer leur spectacle. Nous leur confions un espace gratuitement, avec une mise à disposition des techniciens, des gradins, de toute la technique dont ils ont besoin. Ces jeunes sont en école, ils ont à peu près l’âge que nous avions lorsque nous avons créé le festival. Et cette année, on reçoit aussi une petite forme d’élèves issus de l’ESTBA, qui viennent nous présenter un extrait de la sortie d’école qu’ils ont présentée cette année.

Alors que vous vous apprêtez à lancer la huitième édition du festival, quels enseignements tirez-vous de ce pari qui n’était pas forcément gagné au départ ? Est-ce qu’il y a de la place, aujourd’hui, pour des propositions comme la vôtre ?

Matthieu Dessertine : Oui et non : si nous n’avions pas accepté la précarité de notre aventure pendant les six ou sept premières années, nous nous serions forcément arrêtés. Quiconque souhaite monter un festival comme celui-ci doit savoir qu’a priori, pendant cinq ou six ans, on ne gagne pas d’argent. Nous ne commençons à rémunérer les artistes et les techniciens que depuis deux éditions. Nous sommes fiers de ce que nous avons réussi à faire, mais nous savons que tout ceci très précaire, que si demain certaines subventions sont coupées, il sera difficile de revenir en arrière. Le processus a été long et laborieux, et nous ne sommes pas encore arrivés à nous rémunérer décemment, mais il est vrai que les institutions nous suivent et que la fréquentation augmente. Nous avons réussi à faire que les gens aiment ce lieu. Cela suffit à nous donner envie d’y revenir.

Propos recueillis par Samuel Gleyze-Esteban

Festival Pampa
539 Route de Calabre
33220 Port-Sainte-Foy-et-Ponchapt

Du 19 au 29 août 2022

Crédit photos © Chloé Signès

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