Au Théâtre du Peuple, Simon Delétang propose pour cette édition estivale 2022 trois variations théâtrales autour de l’emblématique et neurasthénique prince du Danemark. S’inspirant de l’œuvre d’Antoine Vitez, il ancre l’anti-héros shakespearien dans les temps présents et offre à Loïc Corbery, une partition sur mesure.
Les premières notes d’intro de The Final Countdown du groupe Europe, résonne au cœur de la vallée vosgienne du pittoresque village de Bussang. Elles battent le rappel. Les portes du théâtre de bois, inauguré en 1895 par Maurice Pottecher, sont ouvertes. Dans quelques minutes le spectacle va commencer. Pour cette première d’Hamlet, le public est venu en nombre. Armé de coussins – outils indispensables pour profiter le plus confortablement possible du spectacle – chacun prend place, toujours autant émerveillé par ce bâtiment incroyable et unique.
Shakespeare en noir et blanc
La salle est pleine à craquer. Il faut dire que c’est la première fois qu’Hamlet, en personne, foule les planches du Théâtre du Peuple. Vêtu de noir de pieds en cap, il erre dans un décor très géométrique, très blanc, rappelant celui imaginé par Yanis Kokkos en 1983 pour l’adaptation qu’à faite Antoine Vitez de la plus célèbre tragédie du dramaturge anglais. S’inspirant d’une photo d’archives, Simon Delétang rend hommage au maître, à son sens de l’épure, d’un esthétisme sans fioriture qui laisse éclater la force vitale du texte. Porté par Loïc Corbery de la Comédie-Française, cet Hamlet en noir et blanc sort des sentiers battus. Ni vraiment vengeur, ni vraiment dépressif, il se laisse porter par une sorte de cynisme caustique, d’autodérision qui se moque de ses velléités revanchardes. Brocardant ses noires pensées, ses emportements nourris par le spectre de son père empoisonné, il se laisse porter par des flots quelque peu misanthropiques. La belle et enamourée Ophélie en fera les frais, au même titre que son oncle incestueux, assassin, ou sa mère complice. On ne peut pas mieux dire, il y a bien quelque chose de pourri au Royaume du Danemark…
Un univers dictatorial
S’appuyant, comme l’impose le cahier des charges du théâtre du Peuple, sur une distribution mixte, où s’entremêlent professionnels et amateurs, le directeur du lieu tire le drame vers la tragicomédie et recentre l’intrigue autour du couple délétère, Ophélie et Hamlet. Leur folie exacerbée par l’ambiance despotique impulsée par le nouveau roi, Claudius, l’oncle d’Hamlet, ainsi que par leurs incapacités à accorder leurs contradictions, éclate furieusement dans ce monde apathique en grand deuil – tous ont revêtu une robe uniforme noire, très stricte, très cléricale, très austère. Seule pointe de couleur, portant un costume rouge sang, Ophélie semble incarner, même par-delà son suicide, la vie, s’opposant en tout point à la cour danoise, où sévit ténébreuse, la mort, l’absence totale de liberté. De ce jeu de contrastes, le directeur du lieu en fait une force, qui trouve son acmé quand enfin le fond de scène s’ouvre, laissant entrevoir derrière la stérilité du château d’Helsingør, la luxuriance de la nature.
Un duo virtuose
Préfigurant le Hamlet-Machine d’Heiner Müller, dont les répétitions vont commencer d’ici quelques jours, Simon Delètang signe une mise en scène dépouillée, très contemporaine, faite de lignes de fuites, de déplacements en diagonale, de traversées du plateau à pas cadencés. Rythmée, portée par le duo de comédiens – lunaire Loïc Corbery et solaire Georgia Scalliet – et leur jeu habité et sensible, la tragédie shakespearienne se niche parfaitement dans la scénographie tout en perspective de l’artiste limousin. Bien que fragile et quelque peu inégale dans les interprétations en cette après-midi de première, cet Hamlet dévoile une facette moins connue du célèbre prince, son humour noir, séduisant ainsi les spectateurs qui font une standing ovation à la troupe. Le pari de Simon Delétang de monter trois Hamlet sinon rien, cet été à Bussang, est sur le point d’être réussi. En tout cas, et c’est déjà pas mal, il a su mettre l’eau à la bouche, attiser les appétits !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Bussang
Hamlet de William Shakespeare
Théâtre du Peuple – Maurice Pottecher
40 rue du théâtre
88540 Bussang
Jusqu’au 3 septembre 2022
du Jeudi au dimanche à 15 h
Durée 3 h 30 environ
(avec entracte)
Traduction de François-Victor Hugo
Mise en scène et scénographie de Simon Delétang
Lumière de Mathilde Chamoux
Son de Nicolas Lespagnol-Rizzi
Costumes de Marie-Frédérique Fillion
Collaboration dramaturgique – Julien Gaillard
Assistante scénographie – Aliénor Durand
Éducatrice animalière – Sonia Lestienne
Maître d’armes François Rostain
Sculpture des crânes – Mathis Brunet-Bahut, Adèle Collé, Judith Dubois accompagnés de Coline Fisbach
Réalisation de la toile peinte – Adèle Collé, Coline Gaufillet et Rachel Testa
AvecMarina Buyse*, Loïc Corbery de la Comédie-Française, Baptiste Delon* , Hugues Dutrannois*, Sylvain Grépinet*, Salomé Janus*, Houaria Kaidari*, Fabrice Lebert, Jean-Claude Luçon*, Elsa Pion*, Julie Politano*, Anthony Poupard, Khadija Rafhi*, Georgia Scalliet, Stéphanie Schwartzbrod, Alice Trousset* et une dizaine de figurants
*membres de la troupe d’artistes amateurs de l’été 2022
Équipe technique de création et de représentation
Régie générale – Marie Boëthas, Nicolas Hénault et Sylvain Tardy
Régie principale – Alban Thiébaut
Régie son – Orane Duclos, Charles Gesegnet, Rozenn Lièvre et Étienne Martinez
Régie lumière – Manon Bongeot, Damien Delvallez, Lucien Laborderie, Lou Morel, Cécile Robin et Zacharie Volle
Régie plateau – Clément Breton, Géraud Breton, Adèle Collé et Kayla Krog
Cheffe d’atelier costumes – Florence Demingeon
Costumes – Mathilde Brette, Laurence Oudry et Ella Revolle accompagnées de Cléo Pringigallo, Emma Quiblier, Anna Sarr et Clarisse Veron
Habillage – Marlène Hémont, Françoise Léger, Barbara Mornet et Julienne Paul
Maquillage et coiffure – Justine Valence
Crédit photos © Jean-Louis Fernandez