Loin de la chaleur avignonnaise, un vent frais souffle dans l’immense parc verdoyant de la Maison Maria Casarès. Le soleil est timide, la pluie, par de courtes averses, s’invite joyeusement comme pour bénir la manifestation et ses deux co-directeurs, Matthieu Roy et Johanna Silberstein. Avec pas moins de cinq activités culturelles par jour proposées aux visiteurs, le festival d’été a trouvé son rythme de croisière, son ton convivial, son ambiance familiale. Les enfants gambadent, s’amusent, s’arrêtent le temps d’un spectacle. Puis reprennent leur course folle, tandis que les parents continuent leur parcours théâtral et gastronomique.
À la découverte de la célèbre hôtesse des lieux
Le domaine de la Vergne est hanté par la silhouette féline, la voix grave teintée d’un très léger accent venu du nord-est de la péninsule ibérique de Maria Casarès, qui a acquis ce domaine en 1961 après la mort de son grand amour, Albert Camus. Afin de se familiariser avec l’une des plus grandes comédiennes françaises de la seconde moitié du XXe siècle qui fut un des piliers du Théâtre national populaire de Jean Vilar et dans la foulée du Festival d’Avignon, une exposition, située au rez-de-chaussée de la bâtisse principale, retrace joliment son passage à Chaillot, ses grands rôles de tragédiennes — Lady Macbeth, Marie Tudor ou Phèdre —, sa présence solaire dans la cour d’Honneur du Palais des Papes. En Parallèle, pour les festivaliers bucoliques, un parcours a été imaginé pour découvrir le parc. Casque vissé aux oreilles, une déambulation permet de plonger au cœur de la correspondance amoureuse qui a unit durant un peu plus de douze les cœurs et les âmes de Maria et Albert, de l’actrice et de l’écrivain. Leurs lettres passionnées, la flamme qu’ils entretiennent, leur façon de raconter leur quotidien, d’y inviter l’autre est tout simplement vertigineuse.
Un monde aquatique
L’heure du goûter approche. Il est temps pour les visiteurs, venus le plus souvent en famille, de se diriger vers le verger. Des tabourets de bois ont été installés pour former une sorte d’allée centrale, une scène improvisée. Se nourrissant des énergies telluriques, végétales et minérales du lieu, Paul Francesconi a imaginé un conte inspiré de la nature environnante. Dans un monde quelque peu féérique, Jan (Anthony Jeanne, tout en énergie), un jeune garçon d’une dizaine d’années, malade du cœur, vit reclus avec sa mère (détonante Nadine Béchade) dans une immense propriété. Jadis luxuriant, le lieu a dépéri. Les habitants se sont refermés sur eux-mêmes, autant pour protéger l’enfant du monde extérieur, forcément hostile et cruel, que pour combler la solitude alcoolique de Mara, la mère. Mais voilà Jan rêve d’aventures de quitter sa prison dorée, de traverser la rivière, de s’enfoncer dans la sombre forêt qui la borde et pourquoi pas découvrir l’océan. Aidé dans sa quête émancipatrice par une fougère (lumineuse Khadija Kouyaté) devenue jeune fille et un jardinier singulier (épatant Théophile Sclavis), Jan va plonger dans l’eau trop longtemps redoutée, se libérer des secrets de famille et enfin vivre sans contrainte.
En quête de dieu et de son contraire
Devant une très belle copie de L’Annonce à Marie de Fra Angelico, accrochée sur la façade extérieure Est de la Maison, Yannick Jaulin s’empare des récits primitifs qui ont construit les trois grandes religions monothéistes actuelles. De sa verve foisonnante, il questionne les mythes fondateurs en interroge avec humour les vraisemblances. Rien ne l’arrête, lâchant la bride à la bien-pensance, devant un public qui en redemande, une heure durant, il réinvente les contes et légendes, leur donne des couleurs et des fins inattendues. Accompagné au violon par la compositrice Morgane Houdemont, il fait chanter les anges, ravive les émois de la vierge Marie et offre d’autres clés d’interprétation. De son patois, de sa faconde, il déride nos zygomatiques tout en égratignant les dogmes qui ont figé dans le marbre les récits contenus dans les livres sacrés. Aidé par le Pineau des Charentes qui nous est offert en début de représentation, on rit avec joie de ses bêtises, de ses pirouettes et de son franc parler.
Un Tartuffe sans concession
Matthieu Roy n’a pas froid aux yeux. Monter une énième adaptation du Tartuffe de Molière, dans une saison qui en regorge, relève clairement de la gageure. Loin de le décourager, cette concurrence l’aiguillonne, le stimule, lui donne des ailes. Tout comme Ivo van Hove au Français, c’est à la toute première version de la pièce, celle reconstituée par les soins de Georges Forestier, qu’il s’intéresse. Ici pas de Deus Machina, pas de fin heureuse pour Orgon et les siens, mais bien une leçon de vie, une tragicomédie qui dénonce les crédules et exonère de leurs crimes les faux dévots et les manipulateurs. Berné par un charmeur invétéré, un gouailleur impénitent, le bienheureux Orgon se laisse plumer, laissant sa bourgeoise famille sur le carreau. Utilisant habilement la façade entièrement rénovée des dépendances, Le codirecteur de la Maison Maria Casarès signe une mise en scène menée tambour battant. Sans temps morts, allégée notamment de l’histoire amoureuse de Marianne, ce Tartuffe fait mouche – la scène de la table est un chef d’œuvre d’ingéniosité. Totalement débridé, porté par une troupe en grande forme – Nadine Béchade, Aurore Déon, Yannick Jaulin, Anthony Jeanne, Sylvain Levey, François Marthouret et Johanna Silberstein – ce diner-spectacle cisèle joliment les personnalités de chacun et ouvre les appétits des festivaliers conquis.
Le Domaine de la Vergne ne serait pas ce havre de paix estival si ne s’y conjuguait pas théâtre et gastronomie. Le dîner, entièrement conçu avec des produits locaux, qui clôture cette journée assez dense, se laisse déguster avec beaucoup de plaisir. Avec la générosité qui les caractérise, Matthieu Roy et Johanna Silberstein offre à Maria Casarès un bien beau centenaire.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Alloue
Festival d’été – Maison Maria Casarès
Domaine La Vergne
Alloue
25 juillet au 19 août 2022
Du lundi au vendredi
Visite contée
Fragments d’autre : la correspondance entre Maria Casarès et Albert Camus
De 14h30 à 19h (en continu)
Durée 40 min environ
Exposition
Maria Casarès au Théâtre National Populaire
De 14h30 à 18h (en continu)
Goûter-spectacle
Jeunes Rivières de Paul Francesconi
Mise en scène de Paul Francesconi
Costumes de Alex Costantino
Avec Nadine Béchade, Anthony Khadija Kouyaté & Théophile Sclavis
Apéro-Spectacle
Comme vider la mer avec une cuiller de Yannick Jaulin
mise en scène de Matthieu Roy assisté de Valérie Puesch
Avec Yannick Jaulin et la violoniste Morgane Houdemont
Costumes de Noémie edel
Dîner-Spectacle
Tartuffe ou l’imposteur de Molière d’après l’adaptation de Georges Forestier
Mise en scène et dispositif scénique de Matthieu Roy
Costumes d’Alex Costantino avec Nathalie Matriciani
Avec Nadine Béchade, Aurore Déon, Yannick Jaulin, Anthony Jeanne, Sylvain Levey, François Marthouret & Johanna Silberstein
Crédit Photos © OFGDA et © Joseph Banderet
Super Yannick, J’aurais adoré être parmi vous. Je suis à la Saline Royale tout l’été jusqu’au 26 août pour le NUITS DE LA SALINE et mon spectacle visuel LUX SALINA.