L’amour peut-il survivre aux convictions politiques, sociales qui nous définissent et font l’essence de ce que nous sommes ? Une « bobo » intellectuelle et gauchiste, fille d’immigrée de l’Europe de l’Est de surcroît peut-elle vivre une histoire d’amour passionnelle avec un membre actif du parti d’extrême-droite ? C’est à cette double question métaphysique que s’intéresse avec beaucoup d’intelligence et de finesse Salomé Lelouch. Entremêlant romance et débats d’idées, l’auteure signe une pièce drôle, subversive, juste ce qu’il faut pour nous faire réfléchir sur ce que pourrait être notre avenir proche. Tambour battant grâce à une troupe de comédiens épatants, elle nous pousse dans nos retranchements, interroge nos consciences et fait vaciller nos aprioris… Brillant !
L Un soir, dans un bar, une femme et un homme ont rendez-vous. Un peu plus tôt dans la journée chacun par mégarde a pris le téléphone de l’autre. Sauf que ce n’est pas un soir comme un autre. On est le 23 avril 2017, dans quelques minutes, les résultats du premier tour de l’élection présidentielle vont être annoncés. Elle, Mado (espiègle Rachel Arditi), robe rouge flamboyante, est professeur d’histoire, sympathisante de gauche, mais pas militante. Lui, Alexandre (charismatique Thibault de Montalembert), costume sombre, est avocat. Politiquement, on ne sait rien de lui. Il reste très évasif sur ce sujet. Tous les deux, un peu gauche, semblant attirés l’un par l’autre mais avec beaucoup de réserve, décident de boire un verre ensemble, à la seule condition de ne pas parler de politique. Le deal est conclu, verres après verres, ces deux solitaires vont se découvrir, oublier le monde qui les entoure. Ils ne se séparent qu’au petit matin quand une voix-off retentit, glaçante. Le front est en tête avec 40 % des voix. Au vu des chiffres extrêmes serrés, il est impossible de savoir qui du candidat de gauche ou de droite sera présent au second tour.
Les jours passent. L’amour semble au rendez-vous. Pourtant des petits mots, des attitudes font tiquer la jeune femme. Les masques vont finir par tomber. Aidée par sa meilleure amie, la féministe et marxiste Andréa (Flamboyante Ludivine de Chastenet), elle découvre le pot aux roses. Le bel Alexandre est un membre actif du bureau de campagne de la candidate du Front. Que faire ? Les sentiments peuvent-ils s’accorder de convictions viscéralement contraires ? La passion peut-elle faire oublier des opinions diamétralement opposées ?
De ce dilemme cornélien, Salomé Lelouch esquisse une comédie juste et bien sentie. De sa verve enlevée, de sa plume ciselée, acérée, elle évite les écueils, les arguments faciles et décortique avec un talent fou le discours bien rôdé de l’extrême-droite, dénonce ses pièges, et tacle l’incapacité des autres partis à les combattre. Donnant autant de poids à chacun des protagonistes et à leurs convictions politiques, elle nous pousse à réfléchir sur ce qui pourrait bien se produire dans les prochains mois. Grâce à une scénographie ingénieuse, la jeune metteuse en scène module l’espace et nous invite à découvrir toutes les configurations d’un bistrot parisien quelles soient propices aux confidences, aux têtes-à-têtes amoureux ou aux confrontations partisanes.
Au-delà des mots bien sentis, des réparties qui font mouche, le charme et le jeu au cordeau des comédiens est l’autre atout de cette pièce originale et particulièrement intelligente. Rachel Arditi est parfaite en femme ingénue, un peu perdue. Elle est troublante de vérité quand le moment du choix se fait sentir. Thibault de Montalembert est émouvant en homme réactionnaire, pétri de conformisme, que l’amour fait vaciller. Désabusé, il se jette avec les forces du désespoir dans cette dernière bataille, celles des idées antinomiques et inconciliables, pour tenter de séduire sur le fil sa belle. Bertrand Combe est parfait dans le rôle du beauf frontiste, intransigeant et sans nuance. Arnaud Pfeiffer est hilarant en tenancier de bar, à côté de ses pompes. Quant à Ludivine de Chastenet, elle est flamboyante, étincelante. D’un naturel déconcertant, la blonde explosive pourrait bien être la nouvelle Maria Pacôme, tant elle en a la voix, le charme gouailleur et la prestance.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Politiquement correct de Salomé Lelouch
La Pépinière théâtre
7, rue Louis-Le-Grand
75002 Paris
A partir du 2 septembre 2016
Du mardi au samedi à 21h, séances supplémentaires les samedis à 16h
Durée 1h30
Écrit et mis en scène par Salomé Lelouch
Avec Thibault de Montalembert, Rachel Arditi, Ludivine de Chastenet, Bertrand Combe et Arnaud Pfeiffer
Scénographie Natacha Markoff
Costumes Pierre Mattard
Lumière Denis Koransky
Vidéo Olivier Roset
Création sonore et collaboration artistique à la mise en scène Pierre-Antoine Durand Assistante Élisa Oriol
Crédit photos © Christophe Vootz