L’échiquier est simple : deux hommes, deux femmes. Deux couples croisés. Quand la pièce commence, ils sont disposés comme des pions, attendant d’être investis par un usage rigoureux : servir une autopsie de la violence dans le couple, sa montée et ses conséquences.
D’un côté, Rachida (Hayet Darwich) et Liam (Maxime Lévêque), deux jeunes des quartiers. De l’autre, Annie (Julie Denisse) et Pascal (David Gouhier), des dilettantes de la classe moyenne parisienne. De la rencontre, presque idyllique, à la libération de la brutalité, d’abord dans les mots puis dans les gestes, la dégringolade est menée tambour battant, au son des percussions de la talentueuse Yuko Oshima, qui en rend intelligemment le caractère systématique, le roulement machinique.
Traiter d’un sujet comme les violences conjugales questionne forcément le rôle à jouer du théâtre. Gérard Watkins est allé chercher la réponse, il l’écrit, à un endroit où se rencontre l’écriture et l’action civile et publique de lutte et prévention. Mais au-delà de la sensibilisation, la pièce a le mérite de donner une forme proprement théâtrale à l’utilité de la parole. Et il faudra pour cela passer par son revers, le mutisme, et ce qui en découle, un anéantissement de l’être dans l’assujettissement à l’autre.
C’est la vision la plus forte de la pièce, incarnée différemment par les deux comédiennes dans leurs rôles de femmes violentées. Hayet Darwich est juste et réaliste, son personnage témoigne d’une force de caractère qui n’empêche pas l’irruption de la brutalité. Julie Denisse, elle, donne corps d’une manière ahurissante au point-limite de l’existence atteint dans la violence. Ce point dont on ne s’extrait que par le langage, comme elle le fait dans un monologue bouleversant. Son personnage nous suivra bien au-delà des remparts avignonnais. La pièce date de 2016, il n’empêche qu’elle s’accorde encore au présent. Elle donnera lieu à une nouvelle mise en scène en Suède, au printemps 2023.
Samuel Gleyze-Esteban – Envoyé spécial à Avignon
Scènes de violences conjugales de Gérard Watkins
Festival Off d’Avignon
11 • Avignon
11 Bd Raspail
84000 Avignon
Jusqu’au 29 juillet, 22h15 – relâche le 26
Texte et mise en scène Gérard Watkins
Musique Yuko Oshima
Lumières Anne Vaglio
Scénographie Gérard Watkins
Régie générale Marie Grange
Régie lumières Julie Bardin et Olivier Forma
Avec Hayet Darwich, Julie Denisse, David Gouhier, Maxime Lévêque et Yuko Oshima
Crédit photos © Christophe Raynaud de Lage