Comme chaque année à la Parenthèse, le théâtre Louis Aragon de Tremblay en France investit les lieux pour présenter de courtes pièces chorégraphiques et ainsi soutenir l’émergence. L’édition 2022 n’a pas dérogé à la règle, offrant des moments de grâce et quelques gros coups de cœur.
Dans la cour de la parenthèse, la canicule, qui s’abat depuis plusieurs jours sur la France, est suffocante. L’immense bâche blanche, censée protéger les spectateurs, ne suffit plus. L’air est brûlant. Mais que ne ferait-on pas pour la beauté du geste. Malgré les conditions climatiques extrêmes, le public est là, curieux, enthousiaste. Ce n’est pas un coup de chaud qui va l’arrêter !
Art décalé
Sur scène, deux femmes et un homme, portant des cols roulés jaune poussin — vu les températures, on est empathique — se tiennent figés. Des murmures se font entendre. On pourrait croire des borborygmes. Mais des paroles se distinguent, semblant venir de nulle part. Commentant l’entrée des spectateurs, leur tenue, leur attitude, tissant au fil du spectacle un récit de vie, un moment de partage, elles sont tour à tour bienveillantes, caustiques mais jamais méchantes. Jouant sur le ralenti, sur une impression d’immobilisme, les trois artistes se meuvent imperceptiblement. Chaque geste est délayé dans un temps étiré à l’infini. Cette lenteur excessive favorise le doute. On ne distingue pas vraiment le mouvement de leurs lèvres. Est-ce que ce sont eux qui parlent, commentent, partagent leurs impressions ? On le saura bien plus tard, dans une dernière ritournelle facétieuse. Bien au-delà du mouvement, Joachim Maudet crée l’événement avec Welcome. S’affranchissant de la grammaire chorégraphique pure et empruntant quelques codes à la pantomime et à la ventriloquie, il signe un spectacle délicat, sensible et furieusement drôle. Avec ses complices Pauline Bigot et Sophie Lèbre, il se moque des faux-semblants de la bonne société et permet aux bouches closes de s’exprimer enfin. Cet extrait est une belle promesse pour l’avenir. Bravo !
Et que danse la différence
Autre programme, autre ambiance. La température ne retombe pas, bien au contraire. Le ciel est toujours azuréen. L’atmosphère étouffante. En manteau pailleté, Guillaume Drouadaine, que l’on avait découvert en 2016 dans Ludwig, un roi sur la lune de Frédéric Vossier, mis en scène par Madeleine Louarn, entre discrètement sur le plateau, exécute quelques gestes. Une voix off décrit un gars de la campagne, beau, bien bâti. L’artiste se laisse emporter par les mots, investit en toute discrétion la scène. Lunaire, singulier, il se glisse imperceptiblement dans les pas du chorégraphe Bernardo Montet. Créé en 2016, ce solo plein de grâce et de tendresse s’inscrit dans un projet de transmission, qui présentera également des extraits de pièces de Maguy Marin et de Volmir Cordeiro. Avec Vignettes(s), le handicap physique ou mental des interprètes s’efface pour laisser place à une danse étonnante où l’imaginaire s’échappe vers d’autres sensibilités.
Et que vole les vêtements
Le soleil continue sa course réchauffant l’air chaque minute un peu plus, mais rien n’arrête artistes et public. En chemise blanche longue, comme les portaient, il y a deux cents ans, les femmes et les hommes sous leurs vêtements, les quatre artistes – Vincent Delétang, Emma Gustafsson, Balkis Moutashar et Violette Wanty – envahissent à petit pas serrés le plateau, le traversent. Leurs pieds, telles des aiguilles, martèlent le sol. Gracieux, légers, ile semblent des mannequins d’un autre temps, des poupées que l’on s’amuserait à habiller et déshabiller avec des coiffes délirantes – rappelant celles, traditionnelles, des bretonnes, des poitevines ou des alsaciennes – , des faux culs, des corsets, des manches bouffantes ou des cothurnes. S’inspirant de l’histoire du costume à travers les âges, Balkis Moutashar déploie une écriture ciselée mâtinée d’humour, qui conjugue gestes saccadés, mouvements itératifs ou déplacements ralentis. Tout en questionnant la manière dont ces tenues très codifiées enfermaient la femme dans une gestuelle empêchée, elle invite à une fascinante balade dans les alcôves de ces dames. Loufoque, décalé autant que fascinant, l’extrait d’Attitudes Habillées qui nous est ici présenté met l’eau à la bouche et donne envie de voir la pièce dans son entièreté.
Une histoire du Congo
Musique hip-hop à fond les ballons, Yves Mwanba fait souffler fraîcheur — façon de parler — et peps dans la cour de la parenthèse, transformant le plateau en dancefloor. Derrière l’énergie qu’il dégage se dessine l’histoire d’un pays ravagé par la guerre et exsangue après trente-deux ans de dictature. Autobiographique, Hip-hop Nakupenda raconte son enfance à Kisangani, les chants à la gloire de Mobutu, les clips d’Aaliyah, de Michaël Jackson ou d’Usher qui l’ont initié par mimétisme à la danse. Écrit avec la complicité de Anne Nguyen, ce court autoportrait enchante par sa vitalité, la technicité virtuose du danseur chorégraphe. Une belle conclusion pour cette Belle Scène Saint-Denis 2022.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Avignon
La Belle Scène Saint-Denis – Théâtre Louis Aragon
Festival OFF d’Avignon
La Parenthèse
18 rue des Études
84000 Avignon
Jusqu’au 20 juillet 2022
Crédit photos © festival Parallèle M.Vendassi & C. Tonerre et © Nathalie Sternalski