Enivrée par les alexandrins de Racine, Anne Delbée livre, durant une heure trente, un combat acharné pour réhabiliter ce poète trop souvent considéré comme rébarbatif et pompeux. Amoureuse du verbe et de la langue française, elle invite le spectateur à plonger dans la riche œuvre du dramaturge, à se réapproprier ses vers, à en redécouvrir le modernisme et à se délecter de leur musicalité. Mêlant sa propre histoire à celle des héroïnes raciniennes, elle nous entraîne dans une course effrénée au-delà des mots, et brosse un portrait particulièrement flatteur de cet orphelin devenu l’un des plus célèbres dramaturge du XVIIe siècle… Une expérience sensorielle à ne point rater !…
Dans une salle plongée dans le noir, une musique retentit. Elle annonce l’entrée en scène d’un personnage hybride, une sorte de « mix » entre tragédienne et dramaturge. Portant costume ample, pantalon large, bretelles et chemise rappelant les jabots d’antan, la silhouette s’avance à pas de loup. Hésitante, le regard perdu dans ses pensées, elle se glisse devant un rideau fait de panneaux métalliques mordorés. Les premiers mots fusent, formant un alexandrin parfaitement équilibré. Né de la foisonnante imagination de Jean Racine, il sert de prologue à l’étonnant spectacle auquel on est convié.
Femme de lettres, comédienne émérite, Anne Delbée nous invite à partager sa passion de la langue française et tout particulièrement celle de son maître à penser, l’auteur de Phèdre et d’Andromaque. Amoureuse des vers du dramaturge, elle s’enivre de leur sonorité, de leur musicalité. Riche de sa connaissance intime et viscérale des pièces de ce dernier, elle tisse un dialogue passionnant et passionnel entre l’écrivain et le public. Didactique parfois, habitée souvent, elle livre sans fard sa vision de l’homme et de sa plume. Elle raconte son histoire, de sa naissance en Picardie à sa mort parisienne. Orphelin dès son plus jeune âge, brinquebalé d’une famille à l’autre, le solitaire Racine est sauvé de l’ignorance par la solide instruction janséniste qu’il reçoit à Port-Royal, dernier lieu de son errance d’enfant. Elle conte par le menu ses amours avec deux tragédiennes du grand siècle – La Du Parc et La Champmeslé – , son indéfectible attachement au Roi Soleil. Elle survole sa pseudo implication dans l’affaire des poisons pour finir par sa disgrâce et sa mort, dans l’oubli.
Hagiographe d’un soir du grand tragédien, Anne Delbée s’intéresse tout particulièrement à ce qui fait le sel de son écriture, si belle, si chantante, si poignante. Ponctuant son récit des grandes tirades qui ont fait la renommée du poète, elle compose une ode à la gloire du tragédien, lui redonnant lustre et magnificence. Appelant à sa rescousse les grandes héroïnes raciniennes, d’Iphigénie à Andromaque, en passant par Bérénice et Phèdre, elle s’amuse de son timbre presque rauque à « slamer » ou « rocker » les alexandrins afin de montrer la modernité du texte, sa force vitale. Déconcertant le public, cassant la rythmique, la comédienne et metteuse en scène déploie tout son art et sa technique pour convaincre son auditoire de l’absolu génie racinien.
Disséquant les vers, appuyant les liaisons, replaçant les respirations, elle souligne la magie créatrice de celui qui est considéré comme l’un des plus grands poètes du XVIIe siècle. Déambulant sans cesse sur un plateau quasi nu, masquant de sa silhouette voûtée les vidéos sépia illustrant la vie du célèbre auteur, images qui défilent sur les plaques métalliques qui servent de fond de scène, titubant quelquefois, tant elle est enivrée par la prose, elle se délecte des mots, elle boit les phrases et captive les spectateurs, conquis.
Si certains resteront froids face à cette stupéfiante déclaration d’amour, peut-être trop maniérée et manquant de simplicité, d’autres seront littéralement fascinés par cette époustouflante leçon de théâtre. Tous salueront l’indubitable force de conviction de cette grande dame … Un ballet des mots, un concert d’alexandrins à découvrir sans tarder !…
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Racine ou la leçon de Phèdre D’Anne Delbée
Théâtre du Poche-Montparnasse
75, boulevard Montparnasse
75006 Paris
A partir du 27 août 2016
du mardi au samedi à 19h, dimanche 15h
durée 1h30
Conception, mise en scène et interprétation d’Anne Delbée
Scénographie d’Abel Orain
Création lumières d’Andréa Abbatangelo
Réalisation vidéo d’Émilie Delbée
Musique de Patrick Najean
Costumes de Mine de Barral Verguez
Illustrations d’Emmanuel Orain
Crédit photos © Emmanuel Orain