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Les bêtes, une comédie de mœurs féroce et glaçante

Les bêtes, un huis-clos féroce et cynique.

Emprisonnés dans des cages de verre, trois monstres de cynisme se livrent un combat sans merci. Leurs armes : les mots sibyllins, les phrases assassines, les coups bas. Leur terrain de jeu : le monde qui les entoure, leurs familles, leurs proches. Personne ne sera épargné dans ce jeu féroce et cruel. Tous y laisseront un peu de leur âme. Souligné par la mise en scène clinique, austère, d’Alain Timár, le huis clos oppressant, imaginé par Charif Ghattas, glace les sangs. Si quelques longueurs viennent brouiller le propos, ce portrait au vitriol de notre société consumériste se déguste avec un honteux plaisir.

Convié dans l’intimité de Line (féline Maria de Medeiros) et Paul (cynique Emmanuel Salinger), un couple bourgeois ayant tout pour être heureux, on est plongé dans un monde terriblement froid et cynique. Tout, ici, respire le soufre et la méchanceté. Alors que leurs convives viennent juste de partir, pour la plupart, des membres de leur famille ou de leur cercle intime, commence un jeu noir, féroce. Chacun sera soumis au regard perçant et cruel de Paul. Sarcastique et amer, il ne voit chez ses contemporains que leurs vils défauts. Rien ne trouve grâce à ses yeux, même sa femme, trop clémente à son goût, est égratignée par ses sarcasmes et sa verve misogyne.

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Commence alors entre eux un face à face terrible. Dans un décor glacial et sans âme, fait de vitres transparentes, où aucun meuble ne vient réchauffer l’atmosphère, telles deux bêtes, deux monstres, enfermés dans une cage de verre, ils se livrent un combat sans merci. Chacun est tour à tour bourreau ou victime. Lassés d’une existence morne, sans attrait, ces deux êtres blasés décident de mettre un peu de piquant dans cet univers sinistre. Un soir, ils invitent dans leur ronde mortifère Boris (fascinant Thomas Durand), le SDF qui a établi son campement au pied de leur immeuble chic, qu’on imagine dans les beaux quartiers d’une grande ville.

De ce trio étrange et disparate naît une sorte de complicité équivoque, un ballet où les rapports changent, les jugements s’inversent. Les corps se mélangent. L’attrait de la nouveauté ravive les passions et la vie qui sommeille en chacun d’eux. Mais cela suffira-t-il à humaniser ces bêtes assoiffées du sang des autres ?

Avec malice et ingéniosité, Alain Timár donne, à ce huis-clos cynique et féroce, imaginé par Charif Ghattas, des airs de thriller psychologique. Brouillant les pistes, il mène de main de maître ce drame humain, funeste. Renvoyant dos à dos, bourgeois et gens du peuple, les obligeant à s’observer derrières des vitres comme au zoo, il souligne avec finesse et justesse le propos de l’auteur, et exacerbe magistralement sa critique sans concession de nos sociétés mercantiles et opportunistes. Il met en lumière le vide de l’existence de ces êtes sans âmes, qui semblent avoir tout, mais que rien ne comble, ni l’alcool, ni l’art, ni l’amour. Toutefois, à trop accentuer la froideur de ce trio cruel et bestial, le metteur en scène nous les glace exagérément les sens, et notre intérêt pour cette pièce grinçante sans ressent.

Heureusement, les trois comédiens nous séduisent par leur interprétation au cordeau. Maria de Medeiros est impeccable de cynisme. Bourgeoise frigide, elle se révèle féline et mordante quand elle se sent menacée. Nuançant l’étrange personnalité de Line, elle laisse planer le mystère sur ses pensées réelles. Emmanuel Salinger incarne à merveille le parfait salaud. Terriblement féroce, il griffe, saigne ses victimes avec une délectation certaine. Brillant, il dévoile avec une stupéfiante jouissance les profondes noirceurs de Paul. Quant à Thomas Durand, il séduit par son surprenant magnétisme. Sorte de gourou des temps modernes, il s’instille avec beaucoup d’intelligence au cœur de ce couple à deux doigts de vaciller.

Pris au piège par cette confrontation acide et cruelle, on se laisse emporter par cette sombre vision du monde, jusqu’à l’overdose. En effet, la pièce gagnerait en efficacité et en rythme, si elle était amputée de quelques minutes. Mais ne boudons pas notre coupable plaisir, à savourer la féroce réalité de ce texte.

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore


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Les bêtes, un huis-clos féroce et cynique

Les bêtes de Charif Ghattas
Festival OFF d’Avignon


Théâtre des Halles
Rue du Roi René
84000 Avignon
du 6 au 28 juillet 2016 à 16H30. relâche le 11, 18, 25 juillet.
Durée 1h30

Mise en scène et scénographie d’Alain Timár assisté de Lee Fou Messica et de So Hee Han
avec Thomas Durand, Maria de Medeiros, Emmanuel Salinger
Musique de Chantal Laxenaire
Création lumière de Richard Rozenbaum
Construction décor d’Éric Gil, Frédéric Gil
Régie lumière et son de Quentin Bonami

Crédit photos © Ifou pour le pôle média

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