Avec virtuosité et finesse, Christophe Perton s’empare de la très riche œuvre de Pier Paolo Pasolini et propose une pièce, intelligible et sensible, faite d’un montage particulièrement ingénieux de textes, d’interviews et de films de l’essayiste italien. Misant sur une mise en scène dépouillée et sur neuf jeunes et fougueux comédiens, il offre une lecture radicale, juste et profondément joyeuse de la pensée sombre, baroque et provocatrice du grand homme… un coup de maître !
En fond de scène, sur un écran blanc, est diffusé l’ultime entretien télévisé de Pier Paolo Pasolini. Il n’a plus que quelques heures à vivre avant d’être assassiné sur une plage d’Ostie. Ses mots coulent, fluides, percutants. Ils sont presque prémonitoires. Il expose de sa voix posée une nouvelle fois sa pensée, celle qui constitue l’artiste provocateur et sombre qu’il est devenu. Sur l’immense plateau, dans la pénombre, des silhouettes s’avancent et se figent devant le visage émacié de l’essayiste italien. Elles sont au nombre de huit.
L’image du grand homme disparaît. Une lumière sépulcrale inonde la salle dévoilant le visage des jeunes comédiens. Chacun tour à tour va incarner Pier Paolo Pasolini, ou du moins ses pensées, ses fulgurances, ses visions d’un monde en perdition. Fougueux, animés d’une force vitale incroyable, ils puisent au plus profond d’eux-mêmes pour laisser entendre à nouveau les mots de veilleur, d’éveilleur qu’était le réalisateur italien.
Tout commence par un pas deux. Un jeu de séduction malsain, brutal entre un homme (Charismatique Samuel Theis) et une femme (lumineuse Manuela Betran). Lui est sadique. Elle une victime. Il est imposant, droit, hiératique. De sa bouche, les mots coulent tel un torrent de boue furieux. Ils nous glacent provocant notre émoi, violentant nos âmes. Par le menu, il décrit ce qu’il va lui faire subir, comment il va s’emparer de son corps. Elle se transforme en marionnette soumise à ses désirs. Alors que jamais ses deux êtres ne vont se rapprocher, son corps de femme, mis à nu, va exprimer tous les stigmates qu’il aimerait lui infliger. Le tableau est subliment cruel et fascinant. Il semble sortie d’un des films de Pasolini.
Les scènes s’enchaînent dans un décor dépouillé. Quelques chaises, et une immense table en sont les principaux éléments. Quelques images d’archives montrant extraits de films ou d’interviews viennent souligner la pensée pasolinienne, telle que l’imagine Christophe Perton. Mêlant provocations visuelles et propos noirs, ils dessinent un portait intime de Pier Paolo Pasolini. Lyrique, sombre, contestataire, l’homme cache en son cœur de nombreuses fêlures. Habité d’idées noires, violentes, cruelles, il se révèle touchant et profondément bouleversant dès qu’il laisse tomber sa carapace. Prédisant toujours le pire, ne voyant en l’homme, le plus souvent que sa nature abjecte, il cherche désespérément une lueur de pureté dans ce monde. Cynique, il n’en est pas moins qu’un doux rêveur.
En effet, c’est avec beaucoup de finesse et d’intelligence que Christophe Perton s’est emparé de la pensée pasolinienne. La débarrassant des préjugés, il lui a rendu sa force primale ainsi qu’une lisibilité nouvelle. En proposant un montage particulièrement bien choisi des textes de l’essayiste, il lui donne un souffle neuf, presque enjoué sans en omettre la sombre noirceur.
Si les mots de Pier Paolo Pasolini résonnent à nouveau et nous percutent, c’est aussi grâce à l’exaltation de la jeune troupe. Au diapason avec le réalisateur italien, ils vibrent au son de sa pensée. Intenses, ils provoquent, émeuvent. Ils nous poussent dans nos derniers retranchements, nous obligeant à accepter la dureté du monde, sa violence, à percevoir la beauté veineuse au cœur de l’atrocité.
Séduit, le public sort ébranlé de cette plongée singulière dans les réflexions de cet homme visionnaire désespérément amoureux de la vie.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Avignon
Une vitalité désespérée de Pier Paolo Pasolini
Festival OFF d’Avignon
Théâtre Présence Pasteur
13, rue du Pont Trouca
84000 Avignon
du 7 au 29 juillet 2016 à 16h. relâche le 11, 18, 25 juillet
durée 1h25
Mise en scène de Christophe Perton assisté de Camille Melvil
avec Ololadé Akinsanya, Harrison Arévalo, Manuela Beltran, Carmine Fabbricatore, Isabel Aimé Gonzalez Sola, Jeanne Lepers, Samuel Theis, Hedi Zada
Création lumière de Thierry Opigez
Création son :d’Emmanuel Jessua
Costumes de Aude Desigaux
Crédit photos © Christophe Perton