Qui serait Alceste s’il vivait de nos jours dans notre société moderne, aseptisée et hypocrite ? Peut-être justement l’atrabilaire Nicolas Bonneau. C’est en tout cas ce qu’il cherche à démontrer en se confrontant au texte de Molière et en partant à la rencontre des misanthropes d’aujourd’hui. Maniant les mots avec dextérité, le sombre homme s’interroge sur son rapport aux autres, sa place dans la société. Accompagné par la musique envoûtante de Fannytastic, il nous entraîne dans une quête folle et psychanalytique afin d’accepter sa vraie nature d’être civilisé. Scotché par la fine interprétation, séduit par l’élégante scénographie, le public sort conquis par ce conte noir et hypnotique.
Un homme seul (étonnant Nicolas Bonneau) s’avance sur scène. L’espace est dépouillé, juste une méridienne orange pour unique décor. Le torse bombé, il déclame les premiers vers du Misanthrope de Molière. Avec facilité, il se glisse dans la peau d’Alceste. Il se complet dans le costume de cet ancêtre imaginaire.
A l’aube de ses 40 ans, il se décide à réunir tous ses amis dans un gite perdu au cœur de la France. Tous ont fait le déplacement, qu’ils viennent du département voisin où d’un autre pays. Très vite les masques tombent, la fête dégénère. Excédé par l’hypocrisie de ses invités, l’homme se lâche et énonce à chacun ses quatre vérités. Assassines, insidieuses, les répliques blessent, frappent. Tous fuient le lieu du carnage laissant notre nouvel Alceste seul.
Face à lui même, il se décide à explorer sa nature profonde, à accepter son désir de se couper du monde, de se libérer des carcans sociétaux. S’inspirant des vers de Molière, il se plonge dans ses souvenirs, se raconte par touches. Sans fard, il nous montre son moi intérieur, sombre, acerbe, méfiant et moqueur. S’interrogeant sur l’importance des rapports humains et sur la vie en société, il part à la rencontre des misanthropes du XXIe siècle. Confronté à des êtres farfelus, surprenants, acariâtres ou bourrus, il se questionne sur ses motivations et sa réelle capacité à fuir le monde. Est-il lâche ou courageux, telle est la question ?
Portant seul ce récit personnel et intime, Nicolas Bonneau s’amuse de ses propres travers et signe un critique acide du monde moderne sur fond de confessions drolatiques. Imbu de lui de même, égoïste et égocentriste, il se livre sans fard, se met à nu pour notre plus grand plaisir. De sa plume ciselée, il aborde la complexité du monde, l’obligation de compromission et l’hypocrisie de façade nécessaire à la survie en société. Se divertissant de notre instinct grégaire, il se délecte des mots de Molière les faisant résonner avec une étonnante modernité.
Accompagné sur scène d’un étonnant et ensorcelant duo de musiciennes-comédiennes, il erre comme une âme en peine dans un espace évolutif fait de cloisons amovibles et transparentes. La voix si singulière de Fannytastic s’accorde magnifiquement avec les notes harmonieuses et baroques, émises par la violoncelliste Juliette Divry. Elle donne couleurs et vie à ce conte noir et mortifère qui nous emporte aux marges d’une société imparfaite mais vitale… Captivant !…
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Avignon
Looking for Alceste de Nicolas Bonneau
Festival OFF d’Avignon
La manufacture – Patinoire
2, rue des écoles
84000 Avignon
Du 6 au 24 juillet 2016 à 12H20
Durée 1h45 trajet compris
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Avec Nicolas Bonneau, Fannytastic, Juliette Divry
Régisseur général et lumières : Rodrique Bernard, Lionel Meneust
Régisseur son : Gildas Gaboriau
Crédit photos © Richard volante