2019 d'Ohad Naharin - Batsheva Dance Company © Ascaf

Effleurer du doigt la puissance charnelle et politique de la Batsheva

À Montpellier Danse, Ohad Navarin présente 2019, pièce intime, personnelle et intensément subversive, qui montre, s'il était nécessaire, la virtuosité de la Batsheva.

2019 d'Ohad Naharin - Batsheva Dance Company © Ascaf

Avec 2019, pièce intime, personnelle et intensément subversive présentée actuellement à Montpellier Danse, Ohad Naharin raconte son pays et sa culture à travers les corps de ses danseurs, et livre dans un souffle éclatant son regard politique sur la situation en Israël. Ou l’urgence de ne plus se taire.

Une fois n’est pas coutume, c’est sur la scène du Corum que le public est convié. Après un parcours labyrinthique, quatre rangées de gradins attendent les spectateurs. Dire que la scénographie de Gadi Tzachor est intimiste est un euphémisme. L’estrade, réduite à sa plus simple expression, à peine une bande permettant le passage d’un seul individu, est à portée de bras. Au loin, des claquements de talons aiguilles se font entendre. Côté cour, un jeune homme vêtu de noir apparaît, perché sur de hautes chaussures à semelle compensée. Le corps mime les dernières recommandations d’avant-show — éteindre son portable, ne pas prendre de photos, etc. — et leur donne vie avec humour. 

Face à face 
2019 d'Ohad Naharin - Batsheva Dance Company © Ascaf

D’un geste, il tire sur le rideau beige qui servait de fond de scène, dévoilant ainsi d’autres gradins. Placés face à face, les festivaliers s’observent. Le spectacle peut commencer. Bras écartés, paumes vers le haut, un danseur fait son entrée. Pas cadencés, larges enjambées, il investit la scène, l’engloutit dans ses mouvements amples. Il est vite rejoint par un de ses compères, qui se cale sur la même rythmique, celle imposée par une version remixée de Card Games interprétée par Moshe Cohen. En un rien de temps, les seize artistes de Batsheva prennent possession du moindre interstice de libre, sans jamais se toucher, sans empiéter sur l’espace de l’autre. Musiques entêtantes, présences hypnotiques, la troupe israélienne a encore frappé. Totalement subjugué, le public se laisse happer par les déhanchés ronds, les arabesques ciselant l’air, les jambes tendues sèchement, les corps comme suspendus ou ancrés dans le sol. 

Une partition staccato 

Alternant les tempos, les styles musicaux, passant de psaumes à des airs plus pop, entremêlant habilement chansons israéliennes, arabes, et textes du dramaturge Hanoch LevinOhad Naharin construit une partition qui esquisse le portrait d’une nation, d’un pays, qu’est l’Israël d’aujourd’hui, avec ses failles, ses blessures, ses violences, son quotidien tragique, sa force de vie. S’appuyant sur la virtuosité de ses danseurs, le chorégraphe, à la tête de la compagnie depuis plus de trente ans, signe ici certainement l’une de ses œuvres les plus intimes, les plus engagées, les plus personnelles. En la dédiant à son père disparu en 2018, il livre sur scène, au travers des corps de ses danseuses et danseurs, son regard sur cette étroite bande de terre entre le Jourdain et la Méditerranée qui l’a vu naître, grandir et vivre.

Corps à cœur 
2019 d'Ohad Naharin - Batsheva Dance Company © Ascaf

Se laissant porter par la grammaire gaga, les seize interprètes font de la scène leur terrain de jeu. Courses effrénées, marches au ralenti, solos habités, danses de groupe vibrantes, fourmillantes : la chorégraphie imaginée par Ohad Naharin n’est que contraste et dissemblance. Tantôt ensemble, les danseurs respirent à l’unisson ne font plus qu’un seul corps. Tantôt détachés, libres, ils entrent en opposition, en résistance. Regardant le public dans les yeux, ils l’envoûtent, le captivent, l’entraînent dans une fuite permanente, avant de quitter la scène, d’envahir les gradins et de s’offrir un moment de répit allongés sur les genoux de quelques spectateurs. 

Puissante, sauvage, élégante, sophistiquée autant qu’épurée, la dernière création de la Batsheva invite à plonger au plus près de l’art chorégraphique, des danseurs, de leur haute technicité, mais aussi de leur profonde humanité. Troublante, intime, 2019 touche au cœur, à l’âme. Subjugué, le public ne s’y trompe pas. Le message est passé. La compagnie d’Ohad Naharin sort de sa réserve, s’engage. Et c’est sous les applaudissements nourris d’une salle debout que la troupe salue. Un moment suspendu et rare, à savourer sans modération !  

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Montpellier 

2019 d’Ohad Naharin – Batsheva Dance Company
Montpellier Danse 
Corum – Opéra Berlioz
Place Charles de Gaulle
34000 Montpellier
Jusqu’au 1er juillet 2022
Durée 1h15 environ

Chorégraphie : Ohad Naharin
Avec : Chen Agron, Billy Barry, Yael Ben Ezer, Matan Cohen, Ben Green, Chiaki Horita, Sean Howe, Chun Woong Kim, Londiwe Khoza, Shir Levy, Adrienne Lipson, Ohad Mazor, Eri Nakamura, Gianni Notarnicola, Igor Ptashenchuk,
Yoni (Yonatan) Simon, Hani Sirkis, Amalia Smith
Lumière : Avi Yona Bueno (Bambi) / Son : David (Dudi) Bell
Costumes, stylisme : Eri Nakamura / Bijoux : Liron Etzion, Keren Wolf
Bande sonore et musique originale : Maxim Waratt
Décors : Gadi Tzachor
Musique : Uzi Rosenblat (accordéon), Noa Ayali (violoncelle), Card Games by Yarmi Kadoshi interprétée par Moshe Cohen, Locust Star par Neurosis, Boukyou par Hako Yamasaki, Hine ma tov umanaim par Moshe Yakobson, Bashana Haba`a – Ehud Manor/Nurit Hirsh, Ana le Habibi par Rahbani Brothers/Fairuz, Saibai par Hako Yamasaki, Maqlooba par V.F.M. style, You, Me and the Next War – Hanoch Levin/Maxim Waratt, LaKova Sheli – folk song, Caspian By Asadi
Conseil musical, mastering : Nadav Barnea
Assistant d’Ohad Naharin et Eri Nakamura : Ariel Cohen
Ce spectacle est dédié à Eliav Naharin (1927-2018)

Crédit photos © Ascaf

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