Passée par le dijonnais Théâtre en mai avant d’enflammer le festival Paris l’Été, la metteuse en scène belge Miet Warlop présente After all Springville, recréation d’une pièce de 2009. Une leçon de rythme, ludique et plastique.
Parmi les merveilles du festival Théâtre en mai qui a eu lieu à Dijon le mois dernier, After all Springville de la metteuse en scène, performeuse et plasticienne belge Miet Warlop se trouvait en bonne place. Programmé après La Spire de Chloé Moglia, tour de force tranquille en extérieur au cours duquel cinq femmes grimpent dans les hauteurs d’une grande structure en spirale, cette pièce explosive, expéditive et éclatante continue d’explorer le beau paradoxe de dramaturgies économes dans des formes monumentales.
Catastrophe annoncée
Une maison en carton peint beige est posée là, devant nos yeux, sous une lumière blanche. On sait d’emblée que quelque chose va venir troubler le calme de la scène. À raison ! Un homme en veste vole soudain par la fenêtre, sa chute amortie par un sac d’ordures. Il se relève, s’époussette et rentre dans la maison en claquant la porte. Au même instant, un ballon s’échappe par la fenêtre en se dégonflant.
Sans un mot, Miet Warlop raconte les mésaventures et l’effondrement d’un petit monde au départ paisible. After all Springville est une fantaisie dessinée à partir d’images du quotidien petit-bourgeois : une maison, une table et son vase de fleurs, un joggeur et un homme d’affaires. Ce tableau suranné de la vie pavillonnaire est traversé d’anomalies de part en part : la table a de belles jambes vêtues de collants noirs et d’escarpins, et elle éternue. Un carton sur pattes apparaît, rempli d’intentions, avec un tube en guise de trompe. L’homme ouvre un journal aux pages vierges qui fait une musique de machine à sous, et un géant en tenue de sport monologue dans une langue bidon avant d’être coupé en deux.
Fantaisie animiste
En voyant ce petit monde s’animer, on se surprend à découvrir l’animisme forcené qui vit en nous. Comme dans une expérience à la Koulechov, la succession de micro-événements mécaniques se gonfle irrésistiblement de sens et d’émotions. On ne peut rire du désarroi de ce carton dont la trompe a été sciée par le businessman énervé que parce que l’on projette des affects sur sa façade de papier beige.
Tenant dans un canevas simple, succint, After All Springville n’en est pas moins passionnant dans la forme qu’il déploie. D’une grande plasticité, la pièce joue aussi bien sur les transformations de ses objets-corps et corps-objets que sur les effets de timing. C’est une leçon de rythme quasi-musicale, un jeu constant sur les attentes du spectateur qui sait que derrière chaque silence se cache une catastrophe — explosion, chute, apparition ou autre chose encore.
Comme un cartoon
Ce chaos savamment organisé s’achève sur un lit de fumée épaisse, presque liquide, dans une éruption de boyaux gonflables beiges, roses, rouges et bleus tout droit sortis de l’installation Amusement Park réalisée par l’artiste en 2017. Le désastre est joyeux, et Warlop semble trouver la beauté et l’espoir dans le détournement et l’éclatement des choses unies, propres. Ses figures se tiennent en équilibre à la frontière entre l’inanimé et l’humain grâce au talent de performeurs talentueux, lesquels effectuent des exploits d’agilité et de force, sans que la démonstration ne prenne le dessus.
Imbibé de burlesque, relevant aussi bien du théâtre d’objets que du slapstick et de la satire pop d’un monde normé, After All Springville fait atterrir tous ses gags sans faillir. On est comme devant un cartoon, avec la même joie candide. Celle-ci est seulement redoublée par la connaissance que nous avons d’un savoir-faire artistique original et unique. Nous continuerons à en voir les fruits dans One Song – Histoire(s) du Théâtre IV, qui sera créé en juillet au Festival d’Avignon 2022. Et pour les retardataires, un voyage vers After All Springville partira du festival Paris l’Été.
Samuel Gleyze-Esteban
After All Springville de Miet Warlop
Théâtre de Dijon Bourgogne – CDN
Parvis Saint-Jean
Rue Danton
21000 Dijon
Tournée
Les 23 et 24 juillet 2022 au festival Paris l’Été
Conception et réalisation : Miet Warlop
Performance : Hanako Hayakawa, Winston Reynolds/Emiel Vandenberghe, Myriam Alexandra Rosser/Margarida Ramalhete, Milan Schudel/Kevin Fay, Wietse Tanghe/Freek De Craecker, Jarne Van Loon
Costumes : Sofie Durnez
Coordination technique : Patrick Vanderhaegen
Équipe technique : Eva Dermul, Jurgen Techel, Bart Van Hoydonck
Crédit photos © Reinout Hiel