Dans le cadre du festival bordelais Chahuts, dédié aux arts de la Parole, la Compagnie les Arts Oseurs propose une immersion apnéique dans le quotidien d’un tribunal judiciaire. En 2018, sa fondatrice, Périne Faivre, fait la connaissance d’une femme avocate, qui rapidement devient son héroïne, le sujet de son prochain spectacle, une œuvre-fleuve, un spectacle pour l’espace public.
Une chaleur caniculaire harassante a envahi les rues de Bordeaux. Sur le parvis de l’Église Sainte-Croix, telles des fourmis, comédiens, performeurs, techniciens, régisseurs, s’agitent, font les derniers réglages, mettent en place les derniers gradins de fortune, replacent les bancs et testent leurs micros. Tout autour, les premiers spectateurs cherchent la moindre parcelle d’ombre, observent ce bal savant et minutieux. Le temps file, bientôt les portes imaginaires du tribunal vont ouvrir. Texte en mains, les artistes, éparpillés dans l’espace de jeu, relisent les dernières notes, se préparent mentalement à plus de quatre heures de spectacle.
Une vie d’avocate
En peu de temps, le public, armé de bouteilles d’eau, d’éventails, de brumisateurs, s’est installé. Le spectacle peut commencer. Chemisier rouge, jean skinny, Périne Faivre rompt le silence de sa voix claire, raconte la genèse de ce projet fou, le met en perspective de l’actualité politique et judiciaire qui a secoué la France de 2018 à 2020. Conquise par la personnalité de cette juriste autant battante que résignée, la comédienne et metteuse en scène s’invite dans sa vie, devient son ombre, la suit du soir au matin. De son cabinet où elle reçoit les clients, lit les dossiers, les complète, jusqu’à la salle d’audience, au prétoire et à la plaidoirie, elle se laisse emporter par le flux d’informations, de paroles. Confrontant son propre regard, ses propres convictions sur la justice de notre pays, à celui de l’avocate, elle porte sur scène son journal de bord et offre une performance documentaire fort sympathique.
Un travail de troupe
Recréant le quotidien d’un tribunal au dessinateur prêt – le très talentueux Moreno –, Périne Faivre convoque sur cette agora ouverte à tous, spectateurs et badauds, juges, prévenu·e·s, magistrat·e·s, avocat·e·s, policier·e·s, etc. Endossant à tour de rôle tous les types de personnages, la troupe – Kevin Adjovi-Boco, Antoine Amblard, Caroline Cano, Sophia Chebchoub, Périne Faivre, Renaud Grémillon, Florie Guerrero Abras, Daiana Migale, Moreno, Maril Van Den Broek – fait merveille. À la manière du pop-up, les artistes surgissent de-ci de-là, insufflent vie aux mots de l’autrice. suivant d’un jour à l’autre le carnet de bord de Périne Faivre, le public, partie prenante du spectacle, suit les affaires, prend connaissance des histoires somme toute très banales de dealers, de couples en plein divorce, de femmes violentées, de migrants en quête d’asile, de mafieux, de petits délinquants ou de meurtriers présumés, qui alimentent à foison les journées des salles d’audience.
Le monde judiciaire par le petit trou de la lorgnette
Véritable bréviaire du monde judiciaire, Héroïne offre une vision intéressante de notre institution. On plonge dans ses méandres, ses coursives, on attrape des bribes de récits, des instants de vie. Malheureusement, au long cours, le spectacle se heurte à une certaine itération, une certaine littéralité, un manque de relief, l’avocate disparaissant derrière la narratrice, les interrogations sur le bon fonctionnement du système, ses failles, derrière des considérations plus personnelles, plus intimes. Toutefois et c’est la grande force de cette œuvre à ciel ouvert, tout comme au tribunal, le spectateur se laisse attraper par moment, par les pleurs d’une mère, les chants d’amour d’une épouse, la mauvaise foi d’un jeune de cité, la rage d’un ado mal aimé, le quotidien d’une avocate lucide autant que désenchantée.
Faisant spectacle des tragédies ordinaires, des faits divers qui embolissent les tribunaux, Périne Faivre ne démérite pas, offre une performance qui, comme toutes séries ou documentaires sur le sujet, captive par moment, secoue, touche ou laisse les regards s’égarer. Une œuvre protéiforme, construite par strates, à découvrir cet été, au Festival Villeneuve en scène.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Bordeaux
Héroïne, une épopée au cœur d’un tribunal de Périne Faivre
Festival Chahuts
Place Pierre Renaudel
33000 Bordeaux
Tournée
Les 18 et 19 juin 2022 au ARTO – Le Kiwi – Saison des Arts de la Rue, Ramonville (31)
Les 2 et 3 juillet 2022 au Pronomade(s) – CNAREP, Causse-les-Thermes (31)
Du 9 au 21 juillet 2022 au Festival Villeneuve en scène, Villeneuve lez Avignon
les 29 et 30 juillet 2022 à Ax Animation – Spectacles des Grands Chemins, Ax-les-Thermes
du 17 au 19 août 2022 au Parapluie, Festival d’Aurillac, Aurillac
Le 15 septembre 2022 au Moulin Fondu / Art’R, Paris
du 23 au 25 septembre 2022 au Quelques P’Arts, Temps Fort, Annonay
Le 15 octobre 2022 aux Maynats, Pouzac
Autrice, metteuse en scène de Périne Faivre
Compositeur, scénographe, constructeur – Renaud Grémillon
De et avec Kevin Adjovi-Boco, Antoine Amblard, Caroline Cano, Sophia Chebchoub, Périne Faivre, Renaud Grémillon, Florie Guerrero Abras, Daiana Migale, Moreno, Maril Van Den Broek
Régisseuse générale et plateau- Clarice Flocon-Cholet
Régisseur structure – Christophe Nozeran
Régisseur son, constructeur – Jule Vidal
Ingénieur structure – Quentin Allard
Costumière – Anaïs Clarté
Sound designer -Yoann Coste
Experte sur l’écriture en lien avec le monde judiciaire – Laure Dilly-Pillet
Assistante à la création – Florie Guerrero Abras
Collaboratrice à l’écriture – Caroline Cano
Collaborateur artistique – Nicolas Fayol
Crédit photos © Lucile Corbeille et © Christophe Maillot