La dernière bande de Samuel Beckett ©Pierre Grosbois

Denis Lavant au sommet de son art

Au Lucernaire, Jacques Osinski et Denis Lavant continue leur exploration de l'œuvre de Beckett, en adaptant La dernière Bande.

La dernière bande de Samuel Beckett ©Pierre Grosbois

Jacques Osinski et Denis Lavant font entendre sublimement le monde de Samuel Beckett. Ne manquez pas au Théâtre 14, la reprise de leur adaptation de La dernière bande, pièce en un acte écrite en 1957 pour l’acteur nord-irlandais Patrick Magee.

Le texte de Beckett, La dernière bande est souvent montée, mais cette version du metteur en scène Jacques Osinski approche de la perfection. Plus que jamais les mots et l’univers du dramaturge sont mis en valeur, que ce soit dans ce qu’ils disent ou ne disent pas. Chez Beckett, les didascalies font partie intégrante de l’ouvrage. Le metteur en scène les a suivies au pied de la lettre réussissant à les faire vivre sur le plateau. Qu’il est beau ce long, voire interminable silence du Krapp par lequel commence le spectacle. Il instaure ainsi la solitude, ce mutisme dans lequel la vieillesse enferme les hommes. Jamais entendu pareil silence. La terre pourrait être inhabitée. Comme dans un film muet, nous voyons le personnage se déplacer dans son quotidien. Tout prend du temps lorsque la jeunesse a abandonné le corps. Osinski fait entendre la composition voulue par l’auteur. Il est sur ce schéma actanciel qui se concentre dans le corps et trouve une nouvelle vigueur dans la confrontation entre le personnage et le magnétophone en tant qu’objet, la voix de Krapp du passé et celle du présent.

Oh les beaux jours !
La dernière bande de Samuel Beckett ©Pierre Grosbois

Krapp est un vieil homme solitaire, écrivain raté et clochardisé. Pour son anniversaire, il a pris l’habitude de raconter sur des bandes magnétiques son année passée. Une sorte de journal intime. Il prend, également, soin d’en écouter une, toujours la même. Viens d’écouter ce pauvre petit crétin pour qui je me prenais il y a trente ans, difficile de croire que j’ai jamais été con à ce point-là. Aujourd’hui, ne dérogeant pas à ce rendez-vous intime, il choisit de se passer la bande de ses 39 ans. L’année où il témoignait de son grand amour et de cette rupture qui le déchira. Il entame alors son rituel, l’enregistrement d’une nouvelle bande, mais elle sera la dernière. Les souvenirs des jours heureux se fracassent aux terribles conditions de vie du présent.

En attendant Fin de partie

L’auteur décrivait son personnage ainsi : Un homme (visage blanc, nez violacé, cheveux gris en désordre, mal rasé, en pantalon trop court face à une peau de banane). Roger Blin, qui fut un des premiers interprètes de la pièce, lui avait donné cet air clownesque. Osinski est allé plus loin. S’appuyant sur le film de Beckett avec Buster Keaton (à découvrir sur Youtube®), l’artiste s’est inspiré du génie clownesque de ce dernier pour donner chair à Krapp. Cela fonctionne à merveille et donne au personnage cette puissance visuelle remarquable. Denis Lavant est exceptionnel, interprétant avec la dextérité des grands virtuoses toutes les notes et les silences demandés. Comme l’on a aimé son rapport avec les objets, surtout les tiroirs et la banane. Il offre à Krapp une vie intérieure immense. C’est du grand art ! La relation qui demeure entre le metteur en scène et le comédien sublime Beckett. Après Cap au pire, La dernière bande et L’image, ils exploreront, en juillet au Théâtre des Halles, Fin de Partie, un rendez-vous que l’on attend avec impatience.

Marie-Céline Nivière

La dernière bande de Samuel Beckett.
Théâtre 14.
Du 7 au 25 juin 2022.
Les mardis, mercredi, vendredis à 20h, jeudis à 19h, Samedis à 16h.
Durée 1h30.

Mise en scène de Jacques Osinski.
Avec Denis Lavant.

Lumières de Catherine Verheyde.
Son d’Anthony Capelli.
Scénographie de Christophe Ouvrard.
Dramaturgie de Marie Potonet.

Crédit photos ©Pierre Grosbois

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