Table rase pour cœur neuf 

Au cœur de Nice, dans les Franciscains, flambant neuf, Samuel Achache joue les démolisseurs, s’amuse, tel un enfant espiègle, un brin mélancolique, à tout détruire, ne rien laisser derrière lui de son ancienne vie. Homme neuf, s’appuyant sur les Lieder de Schumann, il revisite à travers une série de tableaux les déboires d’un couple usé par le quotidien et dont la séparation semble inévitable.

Musique à chœur 

Au centre du plateau, une bien étrange maison fait face au public. Difficile de dire du premier regard, si elle n’a jamais été finie ou si elle est au bord de l’effondrement. Les cloisons tiennent par miracle, tout a un air de guingois. Des pas lointains rompent le silence. De l’arrière de la salle, un homme (inénarrable Léo-Antonin Lutinier) entre en scène. Attifé à la décrochez-moi-ça, cheveux hirsutes, l’air triste, il semble perdu dans ses pensées. La musique adoucissant les mœurs, calmant les nerfs et invitant aux voyages immobiles, à l’évasion du quotidien, il met un 45 tours dans un tourne-disque imaginaire. Crépitement, déraillement de la piste, sons en boucle et bande-son lue à l’envers, sont joué en direct par une troupe de quatre musiciens et une chanteuse (divine Agathe Peyrat). L’effet est épatant. Décalant le propos, jouant sur les contrastes, les sombres réflexions de l’homme se muent en folle sarabande, en images d’Épinal cocasses, légèrement surannées mais terriblement drôles. 

Couple à la peine 

Dans une cuisine en ruine, un couple entame un dialogue de sourd. Lui (épatant Lionel Dray) fait la vaisselle. Très pragmatique, il refuse d’entendre les énièmes complaintes de sa tendre moitié (détonante Sarah Le Picard). Elle n’en peut plus de sa nonchalance, elle rêve d’un grand amour, d’une passion qui ravage tout, brûle l’âme et le cœur. Au bord de l’implosion, mais incapable d’en finir avec cette situation délétère, le couple s’enfonce un peu plus vers un inéluctable désastre, un effondrement mais non sans humour, sans un soupçon irrésistible d’absurdité.

Un kaléidoscope émotionnel

Écriture libre, décousue, joliment à côté de la plaque, Samuel Achache invite au plus près de ses ressentis, de ses émotions, de ses propres peurs et angoisses sur l’amour. Il invite au plateau les figures légendaires de Tristan et Iseult, amants éternels, pour mieux en dénoncer une sorte de supercherie romanesque, digne d’un conte mais certes pas de la vraie vie. Naviguant dans un univers onirique en permanence rattrapé par la réalité, le metteur en scène tisse avec presque rien, des murs en pièces, des cœurs abimés, des douleurs arrachées au forceps, une fable contemporaine, insensée et humaine. 

Pièce passionnément de travers

Entremêlant joyeusement musique de Schubert revisitée, jeux faussement décalés et histoire(s) à tiroirs, Samuel Achache et sa joyeuse bande – Gulrim Choï, Lionel Dray, Antonin-Tri Hoang, Florent Hubert, Sébastien Innocenti, Sarah Le Picard, Léo-Antonin Lutinier, Agathe Peyrat et Ève Risser – invitent à un joyeux bordel, du grand n’importe quoi mais fait avec style. Tout est foutraque dans Sans Tambour, mais c’est ce qui en fait sa beauté, sa force, sa singularité. En disant au revoir à son cher amour, détruisant les dernières fondations de cette passion devenue impossible, l’artiste renaît plus lumineux que jamais, gonflé d’espoir et de désir. Magique ! 

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Nice