La crise sanitaire ayant fragilisé le monde du spectacle, il a bien fallu se reconstruire et repenser le monde d’après. C’est ainsi qu’est née l’association Ouvrir l’Horizon, un collectif de professionnels du spectacle qui propose depuis 2020, des Paniers Artistiques et Solidaires. Partie des Pays de la Loire, l’aventure aspire à toucher d’autres régions. Rencontre avec Bruno Bonté, secrétaire général, et Guillaume Mailles, membre de l’association montés à Paris pour nous présenter leur beau projet.
Comment est né la belle aventure d’Ouvrir l’horizon ?
Bruno Bonté : Quand tout est bouché, il faut bien avoir des horizons qui s’ouvrent. Cela permet de faire vibrer, de donner cette envie de créer. Les belles histoires, comme souvent, naissent d’une rencontre. Ici, c’est celle de vieux copains et de vieilles copines qui découvrent, à travers le discours d’un Président, qu’ils ne vont plus pouvoir faire leur métier. Après la stupeur vient la question : qu’est-ce que l’on va devenir ? Puis, il y a eu ce terme, Non essentiel. Pour les gens qui sont dans le métier depuis longtemps ou les plus jeunes, c’était difficile de s’entendre dire qu’ils ou qu’elles étaient non essentielles.
D’où l’idée de faire un collectif ?
Bruno Bonté : Comme nous sommes des gens passionnés qui pensent aussi aux autres qui sont également dans la même situation, on a cherché une solution. On ne pouvait pas uniquement se cantonner à faire des vidéos et à les poster sur telle ou telle chaîne et les faire circuler par le biais des réseaux sociaux. On avait besoin de rapports humains, de contacts, de regards, d’émotion. Alors, puisque l’on ne pouvait plus se déplacer, il allait falloir travailler autour de chez soi. On est allé voir nos voisins pour leur proposer une proposition artistique que l’on pouvait jouer dans leur jardin ou à côté, un petit peu plus loin. Ouvrir l’Horizon, c’est ça. C’est de dire que nous sommes là avec cette envie de créer et que l’on va s’organiser pour le faire.
Et de le faire avec les artistes qui habitent près de chez vous…
Bruno Bonté : La question est de savoir qu’elle est la place de l’artiste sur le territoire. Bien souvent on dit que nul n’est prophète en son pays et particulièrement dans le monde du spectacle. Cela arrive souvent que l’on rencontre des gens que l’on connaît juste de vue, croisés au marché, au bistrot, chez des amis communs, et que l’on découvre en discutant qu’ils sont artistes, techniciens ou techniciennes du spectacle. Tous ces gens auraient pu travailler ensemble, mais ne se connaissent pas. Ouvrir l’Horizon est aussi lié à cette envie de renouer des liens entre les gens, les professionnels qui vivent dans le même endroit. Quand on choisit de faire ce métier-là, on le fait aussi parce que l’on a envie de rencontrer des gens. Mais très rapidement, on se retrouve dans une logique liée au métier, à la production, à l’esthétique que l’on a choisi. Si tu es comédien ou comédienne, tu vas plus travailler avec des gens de ton sérail et moins avec des gens issus du cirque ou de la danse. Parce que tu n’en as pas l’occasion. L’idée est de remettre les gens ensemble. De faire qu’ils s’autorisent à créer à nouveau des choses et à prendre des risques mesurés. Car l’idée n’est pas de créer des spectacles qui durent sur des années. Au contraire ! On souhaitait que l’acte créatif premier soit valorisé.
Vous auriez pu faire un festival, or ce n’est pas ça que vous proposez…
Guillaume Mailles : Nous sommes sur l’idée de la saisonnalité, comme le font les producteurs de légumes ou de fruits. Nous avons commencé en mars 2020, pour une diffusion allant de l’été et à l’automne. Enfin, cela s’est arrêté à l’automne parce qu’il y a eu le second confinement. L’idée était de proposer, sur ce temps long, de la production artistique autant qu’il y en avait besoin. C’est-à-dire autant d’artistes et de spectateurs qui étaient en demande. C’est pour ça que l’on ne s’est pas arrêté à la période trop limitée d’un festival. Aujourd’hui, alors que nous en sommes à l’acte 3, on continue. En fait, cela peut se dérouler sur toute l’année. Car nous sommes des maraîchers d’art et nous cultivons toujours. La création artistique naît des influences de la société et donc, il y a toujours de l’ouvrage sur le métier.
En parlant de maraîcher, à l’instar des paniers AMAP (Association pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne), vous proposez des Paniers Artistiques et Solidaires…
Bruno Bonté : Un panier est constitué de formes artistiques « inédites » en duo ou en trio qui permettent à des professionnels de se rencontrer en laboratoires artistiques interdisciplinaires et de créer des œuvres originales éphémères, fruits? de leur adaptabilité et de leur créativité. Donc dans ce panier, on y met trois personnes qui hier ne se connaissaient pas et qui vont avoir cinq jours pour créer ! Et lorsque vous achetez ce panier, vous savez qu’il y a une forme artistique mais vous ne savez rien sur elle. C’est un acte de confiance. On est bien d’accord qu’un spectacle ne se crée pas en quelques jours ! Il faut du temps, des répétitions, etc. Nous avons appelé cette idée de représentation, un hors-d’œuvre ! Si l’on considère qu’un spectacle est une œuvre, on est juste avant l’œuvre ! Nous sommes les prémices.
Qu’y a-t-il dedans
Bruno Bonté : Nous sommes sur une durée de 30 minutes. Les artistes n’ont aucune consigne. Nous souhaitons que les gens travaillent de manière intergénérationnelle et interdisciplinaire. L’idée est qu’ils trouvent un chemin, un horizon qu’ils soient à même de le présenter. Il y a une totale liberté dans le choix des propositions. Ce sont des figures libres. Depuis cette année, forts de nos deux années d’expérience, on va élargir, en accord avec des fédérations et des institutions, sur des thématiques ou une esthétique dominante, comme le cirque. Pour un groupe qui va se former, en duo ou en trio, cela peut faciliter leur démarche artistique d’avoir un filtre avec une idée. Par exemple, nous allons aborder le thème du silence en association avec des institutions qui s’occupent de malentendants et (que ) qui? sont intéressés par nos paniers.
Vous êtes, en somme, un générateur de spectacles en devenir ou pas…
Guillaume Mailles : Effectivement. Nous avons eu des retours directs d’artistes qui nous ont dit qu’ils allaient faire d’autres répétitions pour grossir leur hors-d’œuvre afin que cela fasse vraiment un spectacle. Il y a des aventures qui continuent, qui se poursuivent. Il y a aussi ce retour d’ascenseur qui se fait par des artistes qui, impulsés par une création, ont choisi de donner un coup de main à ce dispositif solidaire. L’actuelle coprésidente de l’association était dans une forme montée la première année. Aujourd’hui, beaucoup de personnes viennent nous aider à coordonner ce dispositif pour qu’il fonctionne, qu’il circule pour toucher de nouveaux publics.
Vous êtes une aventure régionale qui a pour but de s’étendre…
Bruno Bonté : Ouvrir l’Horizon a été imaginé à Nantes, au même titre que Culture Bars Bars l’avait été il y a une quinzaine d’années. Car il faut bien que cela démarre à un endroit. Nous sommes de la région. Il y a une forme d’émulation là-bas. Effectivement, l’idée est de rayonner ! Il y a cinq à six régions en France avec qui nous sommes en contact étroit et qui se sont emparées de notre dispositif. On imagine participer à la prochaine biennale internationale du spectacle à Nantes pour revendiquer une nouvelle logique, une nouvelle manière de travailler ou de proposer du travail à des professionnels en dehors des logiques de compagnie. C’est l’aspect très caractéristique de notre association.
Qui est ?
Bruno Bonté : On revendique un côté collaboratif. Il n’y a pas l’idée d’imposer quelque chose. On est dans une conversation permanente, que ce soit sur la création qui doit être mise en place, avec les artistes, mais aussi avec l’accueillant. N’oublions pas que ce dernier ne sait pas ce qu’il achète lorsqu’il prend un panier artistique. On va discuter avec lui de ce qu’il veut. Quelque chose destinée aux enfants, aux personnes âgées, à un public familial ? Des formes plutôt cirque, danse, texte, chant ? Tout est dans la discussion autour de la volonté d’accueillir quelque chose. Car il faut savoir où l’on va poser les artistes. Comme nous sommes hors-les-murs, il faut choisir un endroit intéressant et le plus adapté.
Comment avez-vous mis votre dispositif en place ?
Bruno Bonté : Sa grande originalité est son financement. On a fait en sorte d’aller chercher des sous, là où ils se trouvent. Donc, pas chez les gens, mais dans les institutions qui en ont encore et qui doivent faire des choix. On est allé voir la DRAC, les communes, les départements, la région. On a eu une belle enveloppe. Cette année la DRAC, en doublant notre subvention, reconnaît notre nécessité dans le paysage culturel. On est dans une logique de financement des heures par les institutions et non pas par le public.
Finalement, tel les Tréteaux de France, mais en miniature, vous promenez vos spectacles dans les régions pour aller vers le public…
Bruno Bonté : C’est pour cela que l’on ne peut se définir comme un festival. Qui est sur un temps donné et un territoire précis. Comme le disait Guillaume, nous sommes sur une saison. On va vers et même chez les gens. Les artistes amènent le peu de décor, le peu de technique qu’ils ont dans un camion ou une voiture. Ils ont une heure, 1 h 30 maximum pour s’installer. Comme nous sommes dans le circuit court, les artistes sont du coin. Les accueillants aiment cette idée de proximité. Cela a plu aussi aux artistes, qui évitent ainsi de faire des longues heures de route pour se produire. Là, ils peuvent rentrer chez eux le soir et profiter de leur famille. Cela change pas mal la donne. Les artistes sont souvent des donneurs de leçon sur la société. Comment elle devrait être. Mais dans le concret ce n’est pas toujours ça. On utilise des milliers de watts pour faire des concerts de fous furieux. On a des gros camions et on parcourt des kilomètres. Là nous sommes à échelle humaine. Ce qui n’enlève rien à la qualité. C’est parce que c’est du territoire, que c’est local, que cela n’a pas fait des kilomètres dans des frigos que les paniers AMAP sont bons. Nous, on dit, ce n’est pas parce que l’artiste habite à côté de chez vous qu’il est mauvais. Il est tout aussi bon que s’il habitait à Barcelone, sauf que vous ne le connaissez pas, c’est tout. On revendique cette idée de fraîcheur.
Guillaume Mailles : On propose une bulle de création originale qui est liée aux individus, à la rencontre qui a eu lieu à ce moment donné là. Cela donne aussi une liberté de création, hors du sein même d’une compagnie artistique, d’une entreprise. Les artistes sont libres de créer ce qu’ils·souhaitent.
La première année, juste après le confinement, les gens ont eu soif de spectacle. La deuxième, toujours cette soif. Comment abordez-vous cette troisième année ?
Bruno Bonté : Les statistiques sont là, les spectateurs ont déserté les salles. Ouvrir l’Horizon continue et revendique une forme de légitimité, parce que les deux premières éditions ont donné raison à cette utopie que l’on mettait en avant. La crise sanitaire n’a fait que révéler, accentuer même, une situation qui s’est dégradée depuis des années. L’idée est vraiment de se dire qu’il y a de la place pour nous. La DRAC le prétend. Grâce à ce dispositif, on permet à des jeunes d’entrer dans le métier. Ce n’est quand même pas rien 100 heures déclarées pour les artistes. C’est fou le nombre d’artistes, de techniciens qui nous ont dit que c’était la première fois qu’ils étaient payés pour des répétitions. Cela a du sens de remettre le métier et l’importance de sa reconnaissance, à travers les salaires.
Votre public qui est-il ?
Bruno Bonté : Le fait d’être sur des propositions légères, hors-les-murs, permet d’aller vers des gens qui n’avaient jamais eu ou très rarement eu l’occasion d’aller voir des spectacles. Pour les artistes ce sont des nouveaux publics, des nouveaux regards, des nouvelles émotions. Pour le public qui n’a pas l’habitude d’aller au spectacle, le format le rassure. Si on lui dit que ce sera une forme artistique à l’esthétisme dominant de danse contemporaine, dans un quartier populaire, comme cela ne? dure que 30 minutes, il ne craint pas d’y aller. Et à la fin, ils ont la banane et nous disent : je ne savais pas que c’était ça. On a eu les mêmes retours dans les EHPAD où les pensionnaires étaient heureux de découvrir d’autres propositions que celles qu’on leur réserve souvent. Des nouveaux publics, des nouvelles formes, des nouveaux formats, pour retrouver de l’envie, c’est vraiment ça, Ouvrir l’Horizon.
Propos recueillis par Marie-Céline Nivière
Ouvrir l’horizon, les paniers artistiques
À partir du 28 avril en Pays de la Loire
Crédits photos ©Chrystelle Gauthier ©Hans Lucas & Jeremy Lusseau ©Virginie Legendre