À travers une galerie de témoignages plus ou moins loufoques, l’épatante Éléonore Joncquez porte au plateau l’obscur objet théâtral qu’est Ovni d’Ivan Viripaev. Au-delà des mots et d’une réalité toute rationnelle, la comédienne et metteuse en scène signe, à la Tempête, un spectacle exigeant, troublant, une mise en abîme de l’art dramatique.
Le soleil est à son zénith en ce joli week-end pascal. À la Cartoucherie, le parking est pris d’assaut. Nombreux franciliens profitent de ses beaux jours pour se promener bois de Vincennes, arpenter les allées du parc floral ou longer les berges du lac artificiel des minimes. Devant le théâtre de la Tempête, quelques irréductibles, un peu moins d’une centaine – capacité maximum de la salle – , sirotent un jus de gingembre en attendant que les portes de la salle Copi s’ouvrent. Les discussions vont bon train. Le printemps ouvre de nouvelles perspectives, loin des préoccupations du quotidien, des élections à venir.
En route vers l’infini et au-delà
La cloche teinte. Il est temps de rejoindre les gradins, de se laisser porter par les mots de Viripaev. Rideaux gris métalliques, sol brillant de même teinte, musique planante, tout est fait pour mettre le spectateur en condition, stimuler son imaginaire et l’entraîner vers ailleurs à la frontière du paranormal. Une voix off explique la genèse du projet Ovni, traduit la pensée du dramaturge russe, fervent opposant à la guerre en Ukraine et invite chacun à laisser scepticisme et rationalisme à l’extérieur du théâtre pour mieux se laisser porter par ces témoignages d’hommes, de femmes ayant rencontré ce fameux troisième type. Ceintures bien attachées, le voyage intersidéral et transcendantal peut commencer.
Entre réalité et loufoquerie
Avec finesse et malice, Ivan Viripaev rend compte des entretiens qu’il a eu avec une dizaine d’individus de tout âge, de tout milieu et de tout horizon, ayant fait l’expérience d’un contact avec des extraterrestres. Jeune fille perdue dans ses pensées, chef d’entreprise très rationnel ou jeune idéaliste, tous racontent avec sérieux leur histoire, ce moment de bascule où l’impensable est arrivé, ou leur perception du monde a changé. De cette matière surfant avec le surnaturel, mais qui ne tombe jamais dans l’invraisemblable, Éléonore Joncquez fait théâtre. Elle s’amuse à tisser une série de portraits, à donner vie à ces singuliers récits, à questionner l’art, le réel, le monde qui nous entoure.
Artiste jusqu’au bout de sa postiche rouge
Comédienne surdouée, virevoltante et survoltée, Éléonore Joncquez habite la scène. Qu’elle soit vendeuse à la TrumpTower méchée de rouge ou mère au foyer hypercatho, elle sait d’un geste, d’une intonation, d’une mimique embarquer le public dans son univers. Fantastique Brigitte Tornade ou lumineuse voisine dans Le bonheur des uns de Côme de Bellescize, elle est aussi une incroyable metteuse en scène. Ayant le sens du rythme, du plateau, elle rend palpable l’incroyable. Sans jamais se moquer, toujours avec justesse, délicatesse, elle dirige parfaitement ses comédiens, tous épatants – Grégoire Didelot, Vincent Joncquez, Patrick Pineau et Coralie Russier. On se prend à rêver que tout n’est peut-être pas si faux, si abracadabrantesque. Qui sait ?
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Ovni d’Ivan Viripaev
Festival Off Avignon – 11-Avignon
11 bd Raspail 84000 Avignon.
Du 7 au 26 juillet 2023 à 19h45, relâche les 13 et 20 juillet.
Durée 1h45.
salle Copi – Théâtre de la Tempête
Route du Champ de Manœuvre
75012 Paris
jusqu’au 24 avril 2022
du mardi au samedi à 20h30, le dimanche à 16h30
Mise en scène d’Éléonore Joncquez assistée de Cécile Houette
Traduction de Tania Moguilevskaia et Gilles Morel, pour les Solitaires intempestifs.
avec Grégoire Didelot, Éléonore Joncquez, Vincent Joncquez, Patrick Pineau, Coralie Russier
scénographie de Natacha Markoff
chorégraphie de Jean-Marc Hoolbecq
vidéo d’Antoine Melchior
lumières de Jean-Luc Chanonat
son de Stéphanie Gibert
costumes de Sonia Bosc
Crédit photos © Fabienne Rappeneau