Au théâtre la Flèche, le comédien Audran Cattin s’essaie avec succès à la mise en scène. S’emparant d’Effleurer l’abysse de Solenn Denis, il signe un spectacle délicat autour de la disparition d’un enfant, de la manière dont chacun tente de faire face à la douloureuse absence.
Dans un appartement de la banlieue parisienne, Ben, astrophysicien, et Jo, sa compagne, vivotent depuis cinq ans, maintenant. Dans des circonstances inconnues, leur fils, à peine âgé de 112 jours, est mort. Depuis, l’un se réfugie dans les étoiles, les exoplanètes qu’il étudie au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives de Gif-sur-Yvette, l’autre, enfermée dans les quatre murs de leur foyer, dans la musique qu’elle compose en souvenir de l’enfant disparu.
Entre rationalisme et spiritualité
Malgré la douleur, le couple s’aime, fait face. Jo se laisse porter par des images, des sensations, la vision de son fils en maillot de bain, jouant au bord d’un lagon. Elle lui parle, croit à la possibilité que son esprit est toujours présent. Ben refuse de se laisser embarquer sur ce terrain dangereux en contradiction totale avec le rationalisme scientifique ancré au plus profond de son être. Parfois pourtant, les deux rêvent, inventent une vie à trois. Entre fantasme et désillusion, leur amour vacille. Les fêlures et les distanciations, trop longtemps, tuent, refont surface. Sans cri, la résilience peut-elle faire son chemin, pour enfin guérir l’incommensurable blessure ?
De l’art à la science
Écrit dans le cadre du projet Binôme, initié en 2010 par Thibaut Rossigneux, dont l’objectif est de faire naître une pièce suite à la rencontre autour d’un café entre un auteur et un scientifique, Effleurer l’abysse est le fruit d’une discussion entre l’autrice Solenn Denis et l’astrophysicien Pierre-Olivier Lagage, astrophysicien qui depuis 25 ans travaille sur un télescope infrarouge. Jouant sur les frontières entre réalité et ésotérisme, la dramaturge, à qui l’on doit notamment l’excellent Sandre, signe une pièce poétique autant que prosaïque, forcément troublante.
Faire théâtre
S’emparant de cette matière en fusion, presque impalpable, Audran Cattin donne vie aux mots de Solenn Denis, leur insuffle une dimension humaine. Avec ingéniosité et finesse, il porte au plateau cet homme, cette femme luttant pour survivre, pour accepter l’absence. Avec presque rien, il invite le spectateur dans l’intimité de ce couple, dans leur appartement qui se matérialise par un bol de lait posé par terre, un piano électronique ou une simple table. Le jeu puissant, habité des comédiens – Mathilde Weil irradiante et Maxime Gleizes épatant – fait le reste.
Avec Effleurer l’abysse, Audran Cattin montre qu’il n’est pas seulement le comédien lumineux que l’on a pu voir dans Les Bracelets rouges sur TF1 ou Philarmonia sur France 2, mais aussi un metteur en scène doué et sensible. Une belle révélation !
Olivier frégaville-Gratian d’Amore
Effleurer l’abysse de Solenn Denis
Théâtre la Flèche
77 rue de Charonne,
75011 Paris
Jusqu’au 3 juin 2022
Tous les vendredi à 21h
Durée 55 min environ
Mise en scène d’Audran Cattin
Avec Mathilde Weil, Maxime Gleizes, Simon Cohen
Crédit photos © Marie Charbonnier
