Au théâtre municipal Jean Vilar de Montpellier, Sébastien Bournac, directeur du Théâtre Sorano à Toulouse, porte à la scène la version française de J’accuse, une pièce coup de poing de l’autrice québécoise Annick Lefebvre. Portée par cinq comédiennes lumineuses et engagées, cette galerie de portraits en creux des femmes d’aujourd’hui frappe juste et fort.
Ce n’est pas vrai qu’hier l’on m’a vu dans les rues de Montpellier. Ce n’est pas vrai que je chante à tue-tête dans la voiture qui m’emmène dans le quartier de la Paillade, La Grenade de Clara Luciani ou Pour que je t’aime encore de Céline Dion. Ce n’est pas vrai que je ne connaissais pas le Théâtre Jean Vilar. Ce n’est pas vrai que le texte d’Annick Lefebvre qui emprunte son titre au fameux J’accuse de Zola, s’en inspire assurément. Ce n’est pas vrai que ce n’est qu’une pièce de femmes.
En finir avec les clichés
À travers une succession de paroles commençant par Ce n’est pas vrai, cinq femmes de toutes origines, de tous milieux sociaux, tentent d’esquisser en creux le contour de leur Identité , de leur caractère ,de leur place dans la société. S’amusant des préjugés qui leur collent à leur peau, des clichés qui font d’elles forcément des archétypes, elles se libèrent douloureusement parfois, férocement souvent, des faux semblants qu’une société qui range tous les individus dans des cases en fonction du genre, de la couleur de peau, du métier. Mots crus, méchantes cabales et autres reflexes de pensées pavloviennes, elles étrillent les bien-pensances, les normes, élèvent leur voix contre les carcans qui les enferment, les systèmes qui oppressent, les idées qui les réduisent à des stéréotypes.
Portraits crachés
Aide-soignante inévitablement mal fagotée, cheffe d’entreprise forcément masculine, femme noire évidement étrangère, fan de Céline Dion indubitablement bimbo sans cervelle, autrice aux amitiés particulières nécessairement lesbienne, Annick Lefebvre croque en prêchant le vrai, le faux des personnalités types de citoyennes françaises. Plume acérée, humour volontiers cinglant, l’autrice canadienne, à la demande de Sébastien Bournac, pose son regard incisif, lucide, sans concession sur la société française et adapte son uppercut théâtral au contexte socio-politique hexagonal. Dénonçant la capacité de chacun de cataloguer, elle offre à cinq femmes- fictives et pourtant bien réelles – la possibilité d’exprimer leur rage, leur frustration, leur fêlure au-delà de leur apparence, de leur image papier glacé.
Confessions intimes
La plume étant plus efficace que l’épée, la douce Astrid Bayiha, la pétillante Agathe Molière, la détonanteJulie Moulier, la délicate Jennie-Anne Walker et la flamboyante Clémentine Verdier donnent avec talent fou et engagement, leur voix, leur physique, leur personnalité à cette moitié de l’humanité, ces femmes de l’ombre, ces mères, ces amantes, ces célibataires, ces asexuées, ces êtres uniques autant que communes. Exposant sans filtre la banalité de leur quotidien, égratignant leur belle et figée image d’Épinal, elles brisent tabous, fausses vérités, rompent les liens avec un système qui malgré les évolutions a bien du mal à se répartir d’une forme endémique de patriarcat et de colonialisme, qui les étouffent et les étouffent.
Vitalement nécessaire
Fraîchement créée au ThéâtredelaCité à Toulouse, J’accuse [France] arrive au terme d’une première tournée test. Mise en scène avec justesse, épure et ingéniosité par Sébastien Bournac, la pièce brûlot d’Annick Lefebvre fait feu de tout bois, touche juste en titillant nos consciences depuis trop longtemps engourdies et apathiques aux petites violences du quotidien. Resserré, peaufiné, le spectacle, déjà très prometteur, fait partie de ces œuvres vitales et nécessaires pour changer demain, édifier les nouvelles fondations d’une société plus juste, plus égalitaire, plus humaine. Une claque théâtrale, un défouloir aux frustrations qui fait un bien fou !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Montpellier
J’accuse [France] d’Annick Lefebvre
Théâtre 13 / Bibliothèque
30 rue du Chevaleret
75013 Paris.
Du 10 au 20 janvier 2024.
Durée 2h.
Création mars 2022
Cie Tabula Rasa
durée 2h14
Mise en scène de Sébastien Bournac assisté Jean Massé
Avec Astrid Bayiha, Agathe Molière, Julie Moulier, Jennie-Anne Walker et Clémentine Verdier
Scénographie de Sébastien Bournac et Pascale Bongiovanni
Régie générale – Loïc Célestin
Création lumière de Pascale Bongiovanni
Création sonore et régie son – Loïc Célestin
Régie plateau et construction – Gilles Montaudié
Création costumes – Elsa Bourdin
Crédit photos © François Passerini