Dès l’annonce de sa mort, les hommages ont surgi sur les réseaux sociaux. Comédiens, comédiennes, metteurs en scène, artistes, journalistes, politiques, tous évoquent leurs tristesses et leurs grandes admirations pour cet acteur qui, depuis 78 ans, a traversé l’histoire de l’art vivant et du cinéma. Entré au Conservatoire pendant la Second Guerre mondiale, il a fait ses classes avec Gérard Philipe. Après des débuts en 1944, c’est deux ans plus tard, à l’Atelier, qu’il marque sa grande entrée dans le monde du théâtre dans Roméo et Jeannette de Jean Anouilh, mis en scène par André Barsacq.
De Molière à Anouilh en passant Ionesco
La liste des spectacles où il était à l’affiche est impressionnante. Il a défendu le classique avec Molière, Shakespeare ou Strindberg, et le contemporain avec Camus, Pinter, Beckett, Ionesco, Obaldia, Bernhard, Harwood et bien évidemment Anouilh. Il a travaillé avec de nombreux metteurs en scène, comme Jean Vilar, Roger Planchon, Jacques Rosner, qui vient de nous quitter, Marcel Bluwal, et tout dernièrement Michel Fau. Au service des auteurs, il incarnait son art dans son expression la plus juste, avec exigence et modestie.
La mariée était en noir
On peut dire que l’on a tous un souvenir de Michel Bouquet, sur les planches mais aussi au cinéma. C’est d’ailleurs grâce aux films de Chabrol et de Truffaut que je découvris cet acteur hors norme, qui incarnait souvent des bourgeois terrifiants. Je n’oublierai jamais ma première rencontre scénique, en 1983, avec ce comédien qui me laissa béante d’admiration. J’étais lycéenne et au Cours Simon. Avec quelques camarades, nous avions pris des places au poulailler de l’Atelier, pour Le neveu de Rameau de Diderot, dans la mise en scène de son grand ami Georges Werler. Ce fut un grand moment. Depuis, j’ai assisté à presque toutes ses prestations et à chaque fois avec la même admiration.
Le Maître de Go
Un jour, Georges Werler me fit parvenir au journal Pariscope un CD dans lequel il avait regroupé les leçons données par Michel Bouquet lorsqu’il était professeur au Conservatoire. En les écoutant, je m’étais alors imaginé son élève, dégustant chaque mot, chaque idée, chaque conseil. Aujourd’hui, ils sont nombreux à pleurer celui qu’ils considéraient comme leur maître. Tous rappellent alors combien ils lui sont redevables et le remercient pour son enseignement.
C’est dans cet esprit que Maxime d’Aboville lui avait rendu hommage sur la scène du Poche Montparnasse, avec son excellent spectacle, Je ne suis pas Michel Bouquet, d’après Les Joueurs, livre d’entretiens avec Charles Berling. Récompensé par de nombreux prix, comme celui de la Critique, auréolé de plusieurs Molières et Césars, nous sommes nombreux à estimer qu’il était l’un de nos plus grands acteurs. Un « trésor vivant » comme certains sont considérés au Japon. Aujourd’hui, on pense à sa femme Juliette Carré, à ses proches, à tous ses camarades de scène, à ses élèves et au public.
Marie-Céline Nivière
Crédit photos © Laurencine Lot et © Marcel Hartmann